mercredi 17 août 2011

Le jardin (esquisse)

Pieds nus dans l’herbe folle, j’attends l’apocalypse.
J’ai planté mes orteils dans la terre encore fraîche. L’été blondit le ciel comme le soleil tes cheveux, il y a très longtemps. J’étais descendue au jardin pour cueillir la mélisse jaunie par la canicule, mais un roulement sinistre m’a retenue. Petite, on m’avait appris à anticiper le tumulte, le souffle suspendu entre chaque seconde séparant le grondement du ciel des éclairs violets. Pour l’instant, le calme est plat et je ne crains que les loups-garous qui rôdent près de la grille du jardin.

À la tombée de la nuit, le cadenas rongé par la rouille ne pourra retenir ces lycanthropes qui reniflent la mort sur mes mains. Je ne dors que le jour. Et alors que je sommeille au soleil, les succubes me soufflent d’étranges élégies à l’oreille, désireuses de se nourrir de mes larmes. Elles m’ont dévorée. Je ne suis plus que peau cancéreuse sur squelette érodé. Même mes mots n’arrivent plus à s’immiscer entre les hémistiches des chansons funéraires que fredonne mon voisinage cannibale.

Mais viennent les chiens-loups enragés aux gosiers emboliques et les vampires en robe d’été. J’ai du sang de sorcières dans mes veines et encore une ou deux vies de chat à gaspiller. Hier, je suis allée au bord de l’océan voir les gitans et ils ont rapiécé mon coeur à l’aide d’un long fil d’argent. Il bat maintenant au rythme persistant de l’écume de la mer.

 J’ai accroché de l’ail séché à mes fenêtres et j’ai fait pousser de la sauge dans les racoins de mon jardin. Que cède la grille, je survivrai aux rapaces qui guettent mon désespoir. J’ai  un chapelet de mensonges dans ma poche et un fusil de chasse caché entre les pissenlits. Je ne suis plus la fillette qui plantait ses salades pieds nus dans la brume crépusculaire. La camarde m’a mordu les chevilles et son venin perfide coule dans mes veines bleues. C’est la mort elle-même qui m’a donné naissance un jour de juillet. C’est l’abîme qui s’est penché sur mon berceau et qui a noirci mes yeux bleus de nourrisson.

Mais mes pieds ne prendront pas racine dans la terre qui veut m’avaler. Viennent le cyclone et les revenants de ma mélancolie, je n’aurai pas à attendre le passeur pour atteindre l’autre rive, celle où poussent encore les escargots et les radis. Hier, en raccommodant mon coeur, les gitans ont cousu des palmes entre la peau de mes orteils.

2 commentaires:

  1. Les gitans sont des nomades, normal qu'ils veulent pas que tes pieds s'enfoncent. Fais attention à eux, y'a des terres tranquilles où on peut s'enraciner. Y'a pas juste les vampires qui fuient pour des mensonges.

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