jeudi 8 septembre 2011

Make it rain (esquisse)

The world is not my home
I'm just a passin thru

- Tom Waits

Lorsque j’étais petite, on m’avait appris comment monter un herbier.
Le processus était relativement simple : il suffisait de glisser feuilles et fleurs entre les pages jaunies d’un gros volume, laissant ainsi au temps le loisir de capturer à jamais les couleurs d’une saison aussitôt oubliée.

C’était à cela que j’avais pensé, lorsqu’une vieille facture flétrie, signée comme ta main seule savait le faire, avait glissé d’entre les pages du livre que j’avais volé avant de quitter la maison. Tel un épisode proustien, cette scène, témoin des étés de notre enfance, refleurissait dans un soupir.

Je revoyais notre père, qui, penché sur la table de la cuisine, le regard éclairé par un crépuscule septembral, nous expliquait comment faire sécher une marguerite entre deux bouquins, pour qu’à jamais elle puisse être conservée, comme un roman inachevé. Le vieil herbier sentait la nature morte.

Coincée entre mon sac et la tiédeur des anonymes, je déclarais la saison des fleurs achevée. Par la fenêtre du terminus, on pouvait voir octobre et ses chiens décharnés balayer ce qui restait de feuilles mortes.

En attendant l’autobus, j’avais reçu un texto de ma mère qui me priait de revenir à la maison, comme si c’était encore possible. Qu’on te bénisse, chère mère, mais trop de fois m’étais-je cassé les dents sur les pavés de la banlieue pour y rester une seconde de plus.

Je n’étais plus qu’une survivante. Une nomade vivant avec quelques livres et des vêtements fourrés dans un sac trop petit pour me contenir, l’âme en patchwork et les mains réchauffées par un café acide.

Mon train était en retard. Je gardais les yeux fixés sur la grosse horloge du terminus qui guettaient les passagers entre les brumes des heures mortes. Au fond de la salle, une vieille dame distribuait des pamphlets religieux, suppliant qui voulait bien lui prêter une oreille de ne pas fêter Halloween, de ne pas succomber au pouvoir séducteur du diable et de la mort.

J’avais croisé mes doigts contre ma tasse de styromousse, baissant les yeux dans une prière silencieuse: «Comment vas-tu, ma mort, aurais-tu oublié mon visage? Je suis celle que tu as abandonnée vivante, avec un clou au fond du coeur.»

On m’avait reléguée à la vie et sacrifiée au temps qui passe. Les gens ont des noms pour ceux qui portent l’abîme au fond du regard. Ces mêmes gens qui me guettaient à travers les fenêtres sales de ma maison de banlieue. Qui baissaient la voix en passant devant notre porte, comme on passe à pas feutrés devant un salon funéraire.

Arrachée au monde qui dort les pieds bien enracinés, il ne me restait plus qu’à attendre mon train, les bottes humides et un livre volé à la main. J'ai laissé la facture glisser sur le sol, balayée par le souffle tiède des portes automatiques.

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