lundi 30 juillet 2012

Carmin-sur-lune (edit)

Ils ont des jardins grands comme des maisons et des étoiles plein le ciel. Mais les hivers sont interminables et même juillet frissonne au soleil. Pas un lieu où on s’attarde. C’est sans doute ce que s’est dit Madame Fogg en grimpant les marches menant à sa chambre. La dernière qui fait cric crac. C’est dans sa chambre qu’elle s’est pendue. Là où je dors. Mon patron m’avait fait les gros yeux quand j’avais dit que je ne voulais pas du motel. La maison de la défunte ferait l’affaire. Oui, oui. Je savais qu’il n’y avait qu’une chambre. Oui, oui. Je savais combien de jours le corps était resté suspendu au plafond. Comme un jambon fumé. Tant pis. Rien à craindre des morts. Que de vieux sacs lourds de poussière d’os au bout de la ligne. Mais les morts ont tout à craindre des vivants. Les dernières traces de leur passage reposent avec nous. Petites choses fragiles.

Appartements (edit)

Le 568- Nocturne


Le jeune homme dort entre cendrier et crucifix. Veillé par le Christ fixé au-dessus du divan par l’ancien locataire. La lumière de la pleine lune filtre à travers les rideaux. Elle découpe la silhouette du dormeur qui s’agite dans son sommeil. Son esprit en proie à un cauchemar éthylique; le divan troué se transforme en épave hantée. Et le tapis est un marécage où s’enfoncent les bouteilles vides. Des cris résonnent à travers les murs. Le jeune homme dort toujours. Dans les recoins sombres du salon, les araignées frissonnent. C’est l’heure des loups-garous. Il a oublié de verrouiller la porte.

Le 566- Nature morte

L’enfant a dessiné une forêt noire sur le grand mur blanc de sa chambre. Ses cheveux farouches, emmêlés par le sommeil. Toute la nuit, les cris de ses parents. Un langage lointain qu’il comprend mal. Des accents aussi amers que la marmelade. Mais, ce matin, l’appartement est silencieux. Les parents glanent quelques heures de sommeil entre les draps sales du grand lit. Des renards rôdent dans la forêt crayonnée. Pieds nus sur le matelas, l’enfant s’étire pour esquisser de gros nuages au-dessus de la cime des arbres. Avec ses ongles, il pèle la peinture qui s’écaille. L’enfant n’aime pas le blanc. Des murs lumineux qui l’empêchent de dormir.  Il attend le réveil des parents. Entre les lézardes, la forêt pousse et foisonne, avale les murs.

Le 564- Le temps perdu

Tu lèves les yeux de ton livre, écoutes le bruit sec de l’enfant qui trotte au-dessus de nos têtes. Tu soupires, engourdie par le soleil de l’après-midi. Tu penses à ton enfance solitaire, assise à la fenêtre de ta chambre: « Je me souviens encore... » Ta voix se perd entre les coussins du sofa. Je prends une gorgée de thé. Goût de fleurs. Fanées. Comme tes souvenirs. L’enfance est loin de nous ; la mort un peu plus près. Mais la journée vient de commencer et recommencera peut-être demain. Les après-midi sont longs. Tu as tout le temps de finir ton roman.

Le 570- Sortie de secours


S’asseoir sur le toit de l’immeuble. Un peu plus près du ciel, dans le sillage des avions. À nos pieds, la ville s’étend comme un tapis d’herbes sauvages. Partager une cigarette et un coucher de soleil pour finir la journée. Chercher une sortie de secours à ce huis clos estival ; loin des conversations étouffées des voisins, loin des postes de radio, loin de la promesse du matin. Toi et moi et le ciel. On étend les bras pour compter les oiseaux qui passent au-dessus de nous. Ils reviennent du nord aujourd’hui. Sur le toit de l’immeuble, le ciel semble encore loin. On rentre par la fenêtre avec le vent du soir, un peu triste de ne pas savoir voler.