lundi 1 août 2011

Les vergers

Texte mal aimé :(

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Juillet est mort; on a empalé ses matins clairs sur un échalier de branches mortes. Les enfants ont écrasé les derniers grillons de leurs grosses bottes jaunes. Ils iront se coucher les pieds humides. Les miaulements des chats errants hanteront leurs rêves. Enfin, octobre se réveillera les yeux bouffis, un matin où le ciel ronflera sous un linceul grisâtre.

En octobre, l’odeur des pommes pourries hante les vergers, c’est le parfum du cidre chaud qui parfumera novembre. Mon souffle serré dans les mailles de mon foulard, je descendais l’allée des Macintoshs pour trouver un coin où lire tranquillement, loin des derniers glaneurs de la saison qui jetaient les fruits gâtés à leurs chiens.

L’herbe était trop mouillée pour lire par terre. Au fond du verger se trouvait le banc, un vieux machin en bois qui avait dû passer sa jeunesse dans les rues ensoleillées d’une ville, à attendre le bus. Aujourd’hui, il était las, tout juste bon à partager ses souvenirs avec les mulots et à supporter un cul ou deux.

Le prophète y était déjà assis, une casquette de tweed lui réchauffant la tête. Il regardait octobre fermenter au soleil. Il me salua, puis m’annonça que la fin du monde serait probablement pour novembre.

Pourquoi novembre?

Parce que novembre venait après octobre. C’était le mois où l’on arrachait les squelettes de papier des fenêtres et où la neige était grise dans les rues de la ville.

Le prophète n’aimait pas la ville, parce que la ville était un panier de fantômes où les derniers survivants avaient des clous au coeur. Il ne vivait pas trop loin de notre verger, dans une petite maison avec quatre chiens et un chat qui n’étaient peut-être pas le sien. Il possédait un champ de citrouilles. Les fins de semaine d’octobre, il venait les vendre ici. Entre temps, il offrait l’avenir à ceux qui avaient des sous noirs au fond des poches.

Oui, la fin du monde serait bien pour novembre. Alors que faire? Étendre le sang des chèvres sur nos portes? Écorcher des chats gris?

Rien de ça, qu’il me répondit. Il se gratta le front, replaça sa casquette. Il faudra récolter les pommes, voilà tout. Profiter d’un dernier café chez Linda. En théorie, nos âmes sauront sauves.

J’ignorais que le prophète croyait aux âmes. Il haussa les épaules, m’avoua qu’il avait recommencé à fumer, parce que ça ne servait plus à rien. Mais comment pouvait-il être si certain?

Hier matin, le prophète était allé promener dans son champ avec ses chiens. Le matin avait été un peu pluvieux. Il avait glissé sur une citrouille, répandant ses entrailles dans la paille. C’est là qu’il y a vu la fin du monde. À présent, l’humanité tenait dans ces bouts de chair orange, tout juste bons à faire de la soupe.

Le prophète dit qu’il était quand même un peu triste pour moi. J’étais jeune et il m’aimait bien, comme la fille qu’il avait un jour eue. Celle qui était allée se faire percer la lèvre en ville pour mourir le coeur troué.

Peut-être pourrais-je survivre un peu plus longtemps, m’avoua-t-il, les yeux pâles. Il ne fallait pas perdre de temps. Trouver des écureuils, leur casser le cou et les suspendre aux pommiers. Laisser l’odeur de la mort infuser les pommes gâtées et en faire du cidre. Y ajouter de la cannelle, un peu de muscade et le boire. Alors peut-être vivrais-je pour voir Noël.

À travers ses paroles, je l’entendais supplier juillet de renaître de ses cendres. Mais juillet était mort; on l’avait tué, ne t’en souvenais-tu pas, prophète? Il soupira, me dit qu’il était l’heure de rentrer, les chiens avaient sans doute faim.

Les écureuils seront encore en vie demain, je n’avais pas l’âme d’une sorcière, je n’étais qu’une petite fille. Je mourrai dans la marre noire des derniers jours, comme tout le monde.

Le soir d’Halloween, j’étais allée me coucher sans pleurer. Il faisait froid. Sur le porche, les citrouilles brillaient encore. Leurs sourires brisés flottaient dans l’obscurité. Il ne faut pas les éteindre avant le matin, parce que ça porte malheur. Dehors, ont pouvais entendre les derniers enfants s’écorcher l’âme contre la nuit.

Le lendemain, c’était jour d’apocalypse. Les rayons du soleil brillaient sur un fond pâle. Je n’avais pas pris le temps de déjeuner; j’avais enfilé mes bottes et couru jusqu’à la maison du prophète. Pendant la nuit, les garçons du coin avaient embroché les citrouilles sur les branches des arbres. La chair coulait, mais les sourires restaient.

Le prophète m’attendait devant sa maison. Il me demanda combien d’écureuils avais-je tués. Aucun? Vraiment? Bon. Il frissonnait sous sa veste de laine. Autour de nous tout était silencieux. Pour un homme, il ne restait plus qu’à pleurer, me dis-je. Ou prier, ajouta le prophète.

Il regarda l’horizon. Demain matin, qu’il dit, j’irai trouver un bidon d’essence et des allumettes et je mettrai feu à la ville, je ferai fondre tout les clous.

Il disait cela en se tenant bien droit, défiant le vide, les yeux ombragés sous sa casquette.

Nous avions déjeuné ensemble. Il m’offrit un restant de tarte aux pommes en riant : c’était la fin du monde, alors pour quoi s’en faire avec le sucre. Après avoir mangé, il fit un feu dans sa cheminée en fredonnant. Il faisait de plus en plus froid. Finalement, il me dit de rentrer chez moi, qu’il faudrait bien que je ramasse quelques chandails de laine et un bon manteau.

J’étais rentrée en courant, battant les foins pourris de mes bottes. Les citrouilles ayant survécu à l’apocalypse se dressaient sur une clôture.

Lorsque le monde sera enfin mort, les vergers resteront là, les branches d’arbres grises comme la cendre des villes et, quelque part, une vieille citrouille d’Halloween au sourire fondu.

La température avait baissé et j’étais rentrée chez moi toute tremblante. Ma mère me gronda, puis me dit d’aller mettre un chandail, pour l'amour de Dieu.

Dans le verger arrivaient les derniers touristes de la saison. Des citadins. Ils achetaient des tartes et du cidre frais. Il n’y avait plus de pommes, mais les enfants allaient tout de même faire courir leurs chiens dans l’herbe mouillée. J’étais allée au fond du verger finir mon livre. En après-midi, il plut.

Le soir, je suis allée me coucher plus tôt. Le vent sifflait entre les branches mortes de novembre. On avait assassiné octobre et pendu son squelette aux fenêtres des maisons. Les toits seraient blancs demain. Au salon, mon père ronflait devant la télé. Dehors, il fallait entendre le fredonnement solitaire du prophète qui trottait sur le chemin, balançant un bidon rouge au bout de son bras.

Il glisse une cigarette entre ses lèvres et plonge une main dans sa poche, en quête d’un paquet d’allumettes.

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