lundi 30 janvier 2012

Entracte

Le silence stagne dans l’appartement. La lumière du matin s’arrête à la fenête, semble hésiter à la traverser. Se colle le nez sur la vitre et observe. Dans la pièce, la lueur d’une lampe, allumée quelque part, chasse les dernières traces de la nuit.


Sur le sofa, une femme est recroquevillée. Un chat dort près d’elle, sa lente respiration est effacée par le clair-obscur de la pièce. Entre ses mains, la femme serre une tasse de café. Du bout des doigts, elle caresse une fissure qui lézarde la porcelaine. Le chat remue les moustaches. La femme regarde la fenêtre sans regarder l’horizon. Plisse les yeux. Le matin se découpe à travers le givre. Il doit faire froid dehors.

Il faisait froid ce soir-là. La lumière rouge et bleu des véhicules de secours glissait sur la neige. Le ventre de la voiture évincée, ses entrailles vomies sur la route glacée. Et le corps de l’homme prisonnier de la carcasse défoncée par l’impact. Le sang sur la neige se mêlait au rouge des gyrophares. Le témoignage tremblant de la femme se noyait dans le hurlement des sirènes. Sa silhouette avalée par les phares des voitures.

Le chat étire ses pattes, frôle les cuisses de la femme qui ne bouge pas. Son index fait des allers-retours sur la fissure de la tasse, va et viens en zigzag sur la porcelaine. Elle a les cheveux défaits qui lui tombent sur les épaules. Elle porte une chemise sale, peut-être pas de soutien-gorge parce que ses seins pointent sous la flanelle.

Ils sortaient du cinéma et marchaient rue Saint-Denis, les bottes dans la neige molle, se frayant un chemin entre les jupes trop courtes et les jeans raidis par le sel. Elle avait glissé ses mains dans les poches de son manteau. L’homme parlait rapidement, découpait les scènes du film. Elle l’écoutait, sans doute distraite, observant les passants qui déambulaient autour d’eux. Il avait dit qu’il avait froid, qu’il prendrait bien un verre pour se réchauffer, avant de rentrer.

Dans le décor de l’appartement, on entend le tictac d’une horloge. Sur le sofa, le chat  garde les yeux fermés, mais dresse les oreilles. On dirait qu’il écoute les secondes fuir. À pas feutrés, la pénombre cède sa place à la lumière matinale. Le café doit avoir tiédi dans la tasse lézardée, mais la femme ne boit pas de toute façon.

On pouvait voir les chiffres verts du cadran indiquer minuit passé lorsqu’ils s’étaient glissés dans la voiture. L’homme parlait fort, rigolait. Elle avait souri, avait dit qu’elle était fatiguée et qu’elle avait hâte de rentrer. Par la fenêtre, la neige ne scintillait pas parce que le temps était couvert.

Sur le sofa, la femme couvre sa bouche d’une main, renverse du café sur son genou parce qu’elle tremble trop fort. Le crissement des pneus résonne dans l’appartement, couvre le tictac de l’horloge. Le souvenir rouge et le bleu des gyrophares brasillent dans ses yeux humides.

Les lumières tranchaient la nuit. La femme était emmitouflée dans une couverture de secours, le regard vide. L’agent lui avait offert un mince sourire, jurant avec ses yeux carnassiers qui l’étudiaient, toisaient la rougeur dans ses joues, son nez cherchait une lourdeur dans son haleine. Il avait dit quelque chose qu’elle n’avait pas compris parce que le crissement des pneus résonnait, débordait de la scène.

Huit heures sonnent à l’horloge. La femme soupire comme si elle tentait de chasser toute l’angoisse de ses poumons, s’essuie les yeux avec la manche de sa chemise. Une minute passe et l’horloge se tait. Le chat ouvre les yeux, s’étire lentement et saute par terre. C’est l’heure de manger.

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