tag:blogger.com,1999:blog-81634672042947312802024-03-13T11:53:35.971-07:00De par les chemins brumeuxFight for the right to remain silentCarolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.comBlogger36125tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-15804367941055115112012-08-22T07:23:00.001-07:002012-08-22T07:23:06.656-07:00Au poète penduAller, on va faire un tour au bar du poète pendu. J’en ai assez de moisir ici. La ville frisonne comme une grosse bête dans l’air frais. La lune est orange. L’automne s’est enfin réveillé.<br />
<a name='more'></a> J’enfile ma robe ; tu pourras retrouver ton veston en velours. Il s’embête, il discute avec les perce-oreilles au fond du garde-robe. Laisse ta mine de Verlaine avili aux vents mauvais. On va raser les ruelles et sauter la clôture du parc comme des chats errants. <br /><br />Aller, pose ton livre. Le bar est juste en bas de la colline. Dis à Ulysse de t’attendre au fond d’un pub irlandais ; c’est à notre tour d’aligner les bières rousses le long du comptoir. Ça ne fait mal à personne d’oublier de pleurer le temps d’un soir. Je suis fatiguée de voir les fantômes qui flânent dans tes yeux. <br /><br />Tu sais, moi aussi j’en ai soupé des marches funèbres et des âmes éclopées. J’en ai le coeur rapiécé au gros fils. Mais je t’assure qu’un jour, au bout d’un verre ou deux, on finira par en rire.<br /><br />Aller, dérobe-toi aux succubes qui t’attendent au fond du lit. La nuit est jolie, les fenêtres pleines de lumière. Tu vas encore tout manquer. Les rideaux tirés à te branler entre les draps en potassant Sade. Mets tes souliers, ça fait des jours qu’ils n’ont pas goûté à la fraîcheur du pavé. On pourra chanter faux dans la rue, embêter les voisins qui dorment et faire hurler les cabots. <br /><br />On rentrera par le cimetière et on ira compter les fantômes. Et pourquoi pas libérer les tiens pendant qu’on y sera. Tu les nourris trop, tes spectres aux yeux doux ; tu finiras l’intérieur dévoré, éffondré sur le plancher de la salle de bain. Ça serait triste. Je t’aime bien, tu sais. <br /><br />Aller, j’ai besoin d’une bière. Prends tes clefs et n’oublie pas de nourrir le chat ; on n’est pas prêts de rentrer. <br /><br /><br />Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-65112029899375127242012-08-20T12:31:00.003-07:002012-08-20T12:31:50.611-07:00Histoire de la peinture, du moyen-âge jusqu'à nos jours<span style="font-size: x-small;">Say, come over here,<br />let me smell you for one last time<br />before you go out there<br />and ruin all of the world, once mine<br />-Rufus Wainright</span><br />
<br />
<br />
Une brume bleuâtre est descendue sur ton jardin. Elle flotte entre les branches de tes hydrangées. Le ciel est gris. On se croirait assis dans jardin anglais abandonné, rongé par la mousse verte, entre de vaporeux fantômes en robes de taffetas. Même ma bière a un arrière-goût de thé noir.<br />
<a name='more'></a><br />
<br />
Tu es à la cuisine, en train de parler au téléphone. Je ne comprends pas ce que tu dis. Ta voix se perd dans l’épais feuillage des vignes. Elles ont beaucoup poussé depuis la dernière fois. C’est que je ne viens plus aussi souvent. On a profité de la fin de semaine pour rabouter notre jeunesse au fond d’une douzaine de cafés. Les derniers, on les a allongés de cognac. <br />
<br />
Tu aimes parler du jour où on s’est rencontré. C’était à l’Université, sous les chênes séculaires du campus. Je m’étais empêtré dans mon porte-folio, m’écrasant par terre et fracassant mes fusains neufs sur le pavé. Tes Converses trouées s’étaient arrêtées devant moi :<br />
<br />
« Charbon sur pierre. Rupestre. »<br />
<br />
Ton sourire était de travers et tes dents jaunes. J’avais rigolé, balayant la poussière noire de mes jeans. Cet après-midi-là, j’empruntais ton manuel d’histoire de l’art pour mon cours. <i>Histoire de la peinture, du moyen-âge jusqu’à nos jours</i>. Je ne savais pas ton nom. Alors j’avais regardé sur la page de garde. C’était le premier jour d’école. <br />
<br />
On passait des heures à esquisser des déesses en plâtre au fond d’un local qui sentait le moisi. Des hanches rondes et blanches sur un fond de mur gris béton. On n’avait jamais vu les ciels clairs de la Grèce. Après, on allait boire jusqu’à trois heures du matin avec les amis. On faisait semblant de croire qu’il existait une vie après l’école. Vivre une bohème prête-à-porter, au rythme des saisons. Loin des airs de Vivaldi. <br />
<br />
Les matins étaient difficiles. La mine grise et les mains lacérées par nos exactos, on faisait la file au café étudiant comme une bande de martyrs. La lumière des néons nimbait nos cheveux en broussailles. On aurait dit des auréoles.<br />
<br />
Le jour de la collation des grades, on avait les poumons brûlés par la térébenthine et juste assez d’éducation pour savoir qu’on n’avait pas vraiment de talent. On s’était donc tournés vers la maîtrise. Le soir tombé, on s’exerçait au modèle vivant en allongeant le corps pâle de nos copines sur un drapé d’édredons sales. Et nos natures mortes n’étaient plus que carcasses de bouteilles et paniers de fruits trop mûrs. Comme memento mori, on ne faisait pas mieux. <br />
<br />
Puis on était devenu professeurs. Pas assez d’heures pour payer le loyer, mais tant pis. Refuser de repasser nos pantalons ; c’était notre dernier acte de révolte. Tu passais tes après-midi dans la pénombre fraîche des salles de cours, à disséquer les gris et les noirs de Goya. Tes élèves bâillaient devant la gueule béante de Saturne dévorant ses enfants. Tu t’étais loué un petit studio ou tu passais tes fins de semaine à peindre et boire du cognac avec ta fiancée. Tu avais noyé tes vieilles ambitions au fond de tes pots de peinture, lassé de les voir traînées un peu partout. <br />
<br />
On était loin de nos étudiants qui avaient encore des cheveux et des trous dans leurs jeans. J’avais quitté mon poste au Cégep pour un boulot d’imprimeur. Dans ma chemise bleu ouvrier, je glanais les minutes pour aller fumer près de la sortie de secours. Je n’aimais pas le ventre de l’imprimerie. Il faisait toujours noir et l’odeur de l’encre fraîche m’irritait les poumons. <br />
<br />
Après ton divorce, tu avais obtenu un poste de professeur de peinture dans une petite université. Tu avais sous-loué ton studio et tu t’étais acheté une maison avec un grand jardin où poussaient les hydrangées et les escargots. On y passait de longs après-midi à lamper des bières noires à l’ombre du chêne noueux. On parlait de tes élèves. De leurs acryliques. Toujours les mêmes. Des filles nues et trop des paysages verdoyants qui poussaient sous ton regard morne. On avait égaré Malevitch dans les murs blancs des locaux universitaires. Tu rêvais de petits Pollocks qui éclabousseraient leurs toiles avec du sang de boeuf, qui incinéreraient leurs carnets de croquis avec des cigarettes. Mais tu oubliais que nous-mêmes avions passé nos années d’étudiants à peindre des filles nues et des jardins verts. Dans ta bibliothèque, tes manuels désuets ronflaient sous un linceul de poussière. Leurs pages jaunes comme des grimoires. <br />
<br />
Tu avais décidé de te remettre à la peinture un an plus tôt. Ta bibliothèque époussetée et tes épaves pêchées au fond de tes pots de peinture, tu t’étais installé au milieu de ton salon. La fenêtre ouverte pour laisser entrer les vignes et l’odeur de la pluie. Tout l’été, malgré les plaintes des voisins, ton jardin avait poussé, sauvage comme une forêt. Tu ris encore du jour où ta voisine avait hurlé en trouvant une couleuvre blottie sous ses oeillets. <br />
<br />
Je t’avais laissé à tes toiles et à ton chevalet barbouillé et j’étais retourné à mon travail d’administrateur dans une grande imprimerie. Il y avait la reproduction d’un Miró accrochée au mur, en face de mon bureau. Lorsque les heures traînaient, je voyais nager entre les amibes rouges et bleues, tous mes tableaux jamais peints. Toutes mes déesses blanches, tous mes dieux mangeurs d’enfants et tous ces jardins verts où sommeillent les serpents venimeux ; l’univers luxuriant qui poussait en moi. Laissé à lui-même, engraissé par des litres de café froid, de bière et de cognac.<br />
<br />
Ton jardin s’endort sous sa couverture de brume. Les fantômes en robes de taffetas se sont dissous dans le crépuscule. Je termine tranquillement ma bière, guettant les bribes de ta voix dans la cuisine.<br />
<br />
Tu surgis d’entre les feuilles comme un fauve, avec ton sourire de travers et ton regard brillant. Tu sers encore le téléphone dans ton poing : « La galerie du centre-ville va présenter une de mes toiles. » Tu dis cela d’une voix calme. Comme si tu n’avais pas passé toute ta vie à attendre ce moment. Tu n’as plus de vin, alors on a fini la bouteille de cognac. Buvant à la santé de nos rêves abîmés.<br />
<br />
À la galerie, ton tableau baignera dans une lumière trop blanche. Un épais ciel de peinture bleue, avalant un carré vert forêt. Je repasserai mes pantalons et j’irai faire un tour. J’observerai les tableaux à travers mes lunettes, un gobelet de vin à la main, m’efforçant d’avoir l’air de celui qui comprend ce qu’il regarde. Ton petit rêve enfin réalisé, pendu au mur. Noyé au milieu de tous les autres. <br />
<br />
Devrais-je m’étonner, en me penchant sur ta toile pour mieux voir, de déceler un relent de cognac émanant du bleu de ton ciel empâté.<br />
<br />Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-34216318908719347482012-08-09T13:30:00.001-07:002012-08-09T13:33:23.601-07:00Le verger, un jour d'apocalypse (redux)<i>Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres;<br />Adieu, vive clarté de nos étés trop courts!<br />- C. Baudelaire</i><br />
<br />
Septembre est mort. Dans le village, on a pendu ses restes blondis aux clôtures des vergers. Hier soir, les enfants ont écrasé les derniers grillons avec leurs bottes de pluie. Ils sont partis dormir, les pieds humides. Leurs bas ont séché sur le radiateur. Puis enfin, octobre s’est réveillé, les yeux bouffis, un matin où le ciel ronflait sous un linceul grisâtre. <br />
<a name='more'></a><br />
<br />
Fin octobre, une odeur de paille moisie hante notre verger. Le souffle serré dans les mailles de mon foulard, je descends l’allée des arbres Macintoshs, cherchant un coin tranquille où lire. Les derniers cueilleurs de la saison ont profité du soleil froid pour faire un tour chez nous. Leurs enfants s’amusent à glaner des pommes pourries pour les jeter à leurs chiens. <br />
<br />
L’herbe est trop mouillée pour pouvoir s’installer par terre. Au fond du verger se trouve un banc. Un vieux machin en bois qui a passé sa jeunesse à enfoncer des échardes dans les fesses des citadins. Avec le temps, son bois a été poli par l’arrière-train des flâneurs. À présent, il est tout juste bon à remâcher ses souvenirs en compagnie des mulots et des lièvres.<br />
<br />
Le poète s’y trouve déjà, une casquette de tweed sur la tête, une pomme tavelée dans la main. Il regarde le verger fermenter au soleil. En me voyant arriver, il sourit, déclarant que la fin du monde serait probablement pour demain. Pourquoi demain? <br />
<br />
Parce que demain sera la première journée de novembre. C’est le mois où on arrache les monstres en carton des fenêtres et où la ville se couvre de neige grise.<br />
<br />
Le poète n’aime pas la ville. Surtout en hiver. Il croit que c’est un ramassis de fantômes où les derniers survivants ont des clous dans le coeur. Il ne vit pas trop loin de notre verger, dans une petite maison avec quatre chiens et un chat qui n’est pas vraiment son chat. En automne, il cultive des citrouilles et vient les vendre ici. Entre temps, il écrit et offre l’avenir à ceux qui ont un peu de monnaie dans les poches.<br />
<br />
Oui, la fin du monde sera bien pour demain. Répète-t-il en croquant dans sa pomme tavelée. Le jour des morts.<br />
<br />
Alors que faire? Étendre le sang des chèvres sur nos portes? Écorcher des chats gris? Rien de ça, répond-il en se grattant le front. Il faudra récolter les pommes, voilà tout. Et profiter d’un dernier café avec les vieux au restaurant du coin. Nous ne vivons pas en ville, alors nos âmes sauront sauves. En théorie.<br />
<br />
J’ignorais que le poète croyait aux âmes. <br />
<br />
Il a haussé les épaules, avouant qu’il avait recommencé à fumer hier. Quitte à mourir demain.<br />
<br />
Mais comment pouvait-il en être si certain?<br />
<br />
Lundi matin, le poète était allé promener ses chiens dans son champ. La pluie venait de se calmer. Ses bottes s’enfonçaient dans la boue noire. Soudainement, il a glissé et, en tombant, il a fracassé une citrouille, répandant ses entrailles dans la terre. C’est dans cette bouillie qu’il a vu l’annonce du jugement dernier. Toute l’humanité tenait dans ces bouts de chair orange, tout juste bons à faire de la soupe. <br />
<br />
Le poète dit qu’il est quand même un peu triste pour moi. Je suis jeune et il m’aime bien, comme la fille qu’il a eue, un jour. Celle qui l’a quitté pour aller se faire percer la langue en ville et qui a été retrouvée morte dans la cuisine de son appartement minable, le coeur troué. C’est arrivé un matin de décembre.<br />
<br />
Le teint pâle, il m’a avoué que j’avais peut-être une chance de survie. Il ne fallait pas perdre de temps: trouver des écureuils, leur casser le cou et les suspendre aux pommiers. Laisser l’odeur de la mort infuser les pommes et en faire du cidre. Y ajouter de la cannelle, un peu de muscade et le boire. Alors peut-être vivrai-je pour voir Noël. <br />
<br />
À travers ses paroles, je comprends qu’il rêve de voir septembre renaître de ses cendres. Mais septembre est mort; on l’a assassiné. Ne t’en souviens-tu pas, poète? <br />
<br />
Il soupire. C’est l’heure de rentrer. Ses chiens doivent avoir faim. <br />
<br />
Les écureuils seront encore en vie demain. Je n’ai pas l’âme d’une sorcière, je ne suis qu’une petite fille. Je vais probablement mourir avec de la cendre plein les bronches, lorsque la marée de flammes m’emportera demain. Avec le reste du monde.<br />
<br />
Le soir de l’Halloween, je suis allée au lit sans pleurer. Pour me consoler, j’ai croqué quelques bonbons à l’orange. J’étais incapable de dormir, alors je lisais mon livre, dans le clair-obscur de ma lampe de chevet. Sur le porche, les citrouilles brillaient encore. Leurs sourires tordus flottaient dans la nuit. Il ne fallait pas les éteindre avant le lever du soleil parce que ça porte malheur. Dehors, on pouvait entendre les coyotes rôder autour du verger, guettant les lièvres qui s’y égarent en quête de quelques trognons de pomme. <br />
<br />
Je me suis levée de bonne heure pour mieux affronter l’apocalypse. Le soleil brille sur un fond de ciel brumeux. Je n’ai pas pris le temps de déjeuner; j’ai enfilé mes bottes et j’ai couru jusqu’à la maison du poète. Pendant la nuit, les garçons du coin ont empalé les citrouilles sur les branches des arbres. Le jus coule dans l’herbe, mais les sourires anémiques demeurent. <br />
<br />
Le poète m’attend devant sa maison, sifflotant, une bière à la main. Il me demande combien d’écureuils j’ai tué. <br />
<br />
Aucun? Vraiment? Bon. <br />
<br />
Il frissonne dans son cardigan lourd de brouillard. Le champ se tient silencieux devant nous. <br />
<br />
Pour les hommes, il ne reste plus qu’à attendre la fin, dis-je. <br />
Et prier, ajoute le poète. <br />
<br />
Il interroge l’horizon. Au loin, on peut voit la ville flotter dans la brume. <br />
Demain matin, dit-il, tout sera fini. La ville aura brûlé. Tous ses clous auront fondu. Il dit cela en bombant le torse, défiant la cité, les yeux ombragés par sa casquette. <br />
<br />
Nous avons déjeuné ensemble. Il m’offre de la tarte aux pommes en riant : c’est la fin du monde, alors pourquoi ne pas prendre du dessert. Les chiens ont droit à du poulet froid. Après avoir mangé, le poète s’ouvre une deuxième bière et fait un feu dans la cheminée. Il m’offre une cigarette que je refuse. J’ai soudainement froid. Alors que le feu crépite, il me conseille de rentrer chez moi. Je ne devrais pas traîner ici trop longtemps. Son chat qui n’est pas vraiment son chat a sauté sur la table. Je lui est donné ce qui restait de ma tarte.<br />
<br />
Je suis rentrée en courant, battant le foin pourri de mes bottes. Les citrouilles ayant survécu à la veille de l’apocalypse sont perchées sur une clôture, les yeux éteints. <br />
<br />
Lorsque les villes et les hommes seront enfin morts, les vergers resteront là, les branches de pommiers grises comme la cendre et, quelque part au fond de la campagne, une vieille citrouille d’Halloween. Son sourire fondu. <br />
<br />
Un vent polaire s’est levé. Je suis rentrée chez moi toute grelottante. Ma mère m’a grondée. Me disant d’aller mettre un chandail, pour l'amour de Dieu. Dans notre verger arrivent les derniers touristes de la saison. Des citadins. Ils achètent des tartes et du cidre frais. Il n’y a plus de pommes dans les arbres, mais les enfants s’en vont tout de même grimper aux branches comme des écureuils. Je suis allée m’installer au fond, derrière les pommier, pour finir mon livre, guettant le ciel morne du coin de l’oeil. On a eu un peu de pluie en après-midi, mais pas un fléau à l’horizon. Pas de marée de flammes, ni d’averse de tisons. Même la ville semble paisible, toute noire et froide à travers la grisaille. <br />
<br />
Le soir, bien vivante, je me suis glissée entre mes draps avec un nouveau livre. Le vent siffle entre les arbres squelettiques. On a achevé octobre et pendu son spectre aux lucarnes des maisons. J’entends mon père qui ronfle devant la télé. À la météo, on annonce de la neige. Les toits seront blancs demain. Je me suis assoupie, le sifflement du poète qui se glisse par la fenêtre entrouverte en guise de berceuse. Il promène ses chiens le long de la route qui mène à la ville. <br />
<br />
Un gros bidon rouge se balance au bout de son bras. Achevant sa mélodie sur une longue note grave, il glisse une cigarette entre ses lèvres et plonge une main dans sa poche, en quête d’un paquet d’allumettes. <br />
<br />
<br />Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-79648736354798979652012-07-30T11:23:00.001-07:002012-08-09T13:57:01.654-07:00Carmin-sur-lune (edit)Ils ont des jardins grands comme des maisons et des étoiles plein le ciel. Mais les hivers sont interminables et même juillet frissonne au soleil. Pas un lieu où on s’attarde. C’est sans doute ce que s’est dit Madame Fogg en grimpant les marches menant à sa chambre. La dernière qui fait cric crac. C’est dans sa chambre qu’elle s’est pendue. Là où je dors. Mon patron m’avait fait les gros yeux quand j’avais dit que je ne voulais pas du motel. La maison de la défunte ferait l’affaire. Oui, oui. Je savais qu’il n’y avait qu’une chambre. Oui, oui. Je savais combien de jours le corps était resté suspendu au plafond. Comme un jambon fumé. Tant pis. Rien à craindre des morts. Que de vieux sacs lourds de poussière d’os au bout de la ligne. Mais les morts ont tout à craindre des vivants. Les dernières traces de leur passage reposent avec nous. Petites choses fragiles. <br />
<a name='more'></a><br />
<br />
C’est entre mes griffes de fonctionnaire que sont tombés les restes émaciés de la vie de Madame Fogg. Pas de famille. Pas d’ami. À moi l’honneur parce que je ne sais pas parler aux gens. Vaut mieux me confier les boulots qui ont à voir avec les morts. Pas trop de paperasse. Quelques meubles à mettre aux enchères. Deux ou trois jours de travail, pas plus. Comme des vacances à la campagne, mais avec un pendu en arrière-plan. <br />
<br />
Carmin-sur-Lune. Le nom du village. Drôle de nom. Presque bucolique. Mais les gens d’ici le prononcent en faisant la grimace. Quelque chose d’amer dans ces mots. Village lunaire d’où on contemple de trop loin le reste du monde. Carmin pour les pavots couleur sang qui poussent dans les champs en été. Semés par le vent du sud. Sur lune pour l’immense reflet de l’astre que fait miroiter le lac par-delà les nénuphars. Les enfants y pêchent des truites au matin. La petite maison de Madame Fogg croupit près d’un champ. Il y a une chapelle blanche au bout de la rue. Ici, pas de clôture entre les maisons. Chez nous, on préfère garder les voisins derrière de grands cèdres. <br />
<br />
La chambre pue le renfermé. Ouvrir la fenêtre. L’air est lourd. L’horizon est gris. L’orage s’annonce. Pas de café pour demain. Le réservoir est presque vide. Me demande si la voiture se rend jusqu’au dépanneur. Me voit mal la pousser le long de la route. Le regard jaune des coyotes, le soir. Peut-être aller demander aux voisins d’en face. La maison au toit rouge pavot. Peut-être pas. Tant pis. Il y a une boîte d’Earl Grey un peu moisi qui traîne dans la cuisine. Son carton tout gondolé.<br />
<br />
«Quel temps! Le vent tourne.»<br />
Des voix, dehors.<br />
«Oui, il fera chaud demain.»<br />
<br />
Qu’est-ce qu’ils appellent chaud, par ici? Dans la chambre, malgré le poids de l’humidité, il fait frais. Pas apporté de chandail. Qui aurait l’idée de le faire en plein juillet? Tant pis. Me demande si elle s’est pendue au plafonnier. Sinistre chambre et planches pourries. Ça nourrit la bête noire dans les cerveaux. La mienne se tient tranquille maintenant. Même au plus froid de l’été. Bon emploi, jolie maison, voisins tranquilles, steak le dimanche. Et assez de vin rouge pour endormir les monstres. <br />
<br />
Le ciel se déchire, là-bas. Des éclairs violets. Il y a quelques chandelles dans le tiroir de la commode. Beaucoup de pannes de courant par ici. Ne pas oublier d’appeler le notaire demain. Aime pas parler au téléphone. Ici, c’est pire. Beaucoup de friture. Comme si un astronaute téléphonait de l’espace. La voix de ceux qu’on aime comme seule cloison entre nous et le néant. Voilà où se trouve Madame Fogg. Au coeur du néant. Pas dans le plafond, ni dans le couloir. Il n’y a que mon teint blafard pour hanter les lieux. Voilà la pluie. Grasse et grise. Déjà, l’odeur de la terre mouillée par la fenêtre. Un temps idéal pour lire à la lumière d’une lampe, une tasse de thé qui sent le moisi sur la table de chevet. Rien à lire ici. Rien pour changer les idées. Tant pis.<br />
<br />
Les fenêtres de la maison voisine sont illuminées. Un phare dans la tempête. Les vacances au bord de la mer de mon enfance. Souvenirs soufflés par le vent. Les murs de la chambre grincent. Le plancher est dévoré par la noirceur. La lumière de la lampe de chevet frémit. Une nuit à voir poindre des fantômes du coin de l’oeil. N’importe quoi. Les fantômes, je n’en rêve même pas. Ne rêve plus, de toute manière. Mes nuits sont d’obscurs comas et je me réveille avec le soleil. L’esprit vide. Deux comprimés avant le coucher, dit la bouteille. <br />
<br />
Ce n’était pas comme ça avant. Avant les pendus accrochés au plafond. Avant les gallons de vin rouge. Avant qu’elle ne meure. Pas Madame Fogg. Elle. La mienne. Avant la tempête. Brûlure à soigner. Monstre à border. C’est la vie, comme ils disent.<br />
<br />
Ne pas oublier de recharger mon téléphone. Espère que l’électricité tienne toute la nuit pour laisser la lampe de chevet allumée. Beaucoup de travail demain. L’orage sera fini. Il fera chaud. Aller acheter le journal à pied. Et peut-être du café, en fin de compte. L’orage se calme déjà. L’horizon grogne doucement. On dirait un chien contrarié par son maître. La nuit sera paisible. Le ciel couvert. La lune ne se lèvera pas sur le lac. Tant pis. Les nénuphars borderont une mare couleur goudron. <br />
<br />
Pas de quoi se suicider. <br />
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<br />
<br />Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-4080899947888441582012-07-30T11:22:00.000-07:002012-08-09T13:31:53.344-07:00Appartements (edit)<b>Le 568- Nocturne</b><br /><br /><br />Le jeune homme dort entre cendrier et crucifix. Veillé par le Christ fixé au-dessus du divan par l’ancien locataire. La lumière de la pleine lune filtre à travers les rideaux. Elle découpe la silhouette du dormeur qui s’agite dans son sommeil. Son esprit en proie à un cauchemar éthylique; le divan troué se transforme en épave hantée. Et le tapis est un marécage où s’enfoncent les bouteilles vides. Des cris résonnent à travers les murs. Le jeune homme dort toujours. Dans les recoins sombres du salon, les araignées frissonnent. C’est l’heure des loups-garous. Il a oublié de verrouiller la porte. <br /><br /><b>Le 566- Nature morte </b><br /><br />L’enfant a dessiné une forêt noire sur le grand mur blanc de sa chambre. Ses cheveux farouches, emmêlés par le sommeil. Toute la nuit, les cris de ses parents. Un langage lointain qu’il comprend mal. Des accents aussi amers que la marmelade. Mais, ce matin, l’appartement est silencieux. Les parents glanent quelques heures de sommeil entre les draps sales du grand lit. Des renards rôdent dans la forêt crayonnée. Pieds nus sur le matelas, l’enfant s’étire pour esquisser de gros nuages au-dessus de la cime des arbres. Avec ses ongles, il pèle la peinture qui s’écaille. L’enfant n’aime pas le blanc. Des murs lumineux qui l’empêchent de dormir. Il attend le réveil des parents. Entre les lézardes, la forêt pousse et foisonne, avale les murs. <br /><br /><b>Le 564- Le temps perdu</b><br /><br />Tu lèves les yeux de ton livre, écoutes le bruit sec de l’enfant qui trotte au-dessus de nos têtes. Tu soupires, engourdie par le soleil de l’après-midi. Tu penses à ton enfance solitaire, assise à la fenêtre de ta chambre: « Je me souviens encore... » Ta voix se perd entre les coussins du sofa. Je prends une gorgée de thé. Goût de fleurs. Fanées. Comme tes souvenirs. L’enfance est loin de nous ; la mort un peu plus près. Mais la journée vient de commencer et recommencera peut-être demain. Les après-midi sont longs. Tu as tout le temps de finir ton roman. <br /><b><br />Le 570- Sortie de secours</b><br /><br />S’asseoir sur le toit de l’immeuble. Un peu plus près du ciel, dans le sillage des avions. À nos pieds, la ville s’étend comme un tapis d’herbes sauvages. Partager une cigarette et un coucher de soleil pour finir la journée. Chercher une sortie de secours à ce huis clos estival ; loin des conversations étouffées des voisins, loin des postes de radio, loin de la promesse du matin. Toi et moi et le ciel. On étend les bras pour compter les oiseaux qui passent au-dessus de nous. Ils reviennent du nord aujourd’hui. Sur le toit de l’immeuble, le ciel semble encore loin. On rentre par la fenêtre avec le vent du soir, un peu triste de ne pas savoir voler.Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-21938412169843032522012-05-27T10:24:00.000-07:002012-05-27T10:27:41.100-07:00Pour emporter<br />
<span style="font-family: "Courier New",Courier,monospace;">“Sometimes life is merely a matter of coffee and whatever intimacy a cup of coffee affords.”</span><br />
<span style="font-family: "Courier New",Courier,monospace;">- R. Brautigan</span><br />
<br />
Moi, je n’avais rien demandé. J’avais prévu passer mon samedi matin devant la télé, à zapper entre le téléjournal et les dessins animés. Mais me voilà assise en face de toi, dans un Tim Hortons déserté au bord de l’autoroute. <br />
<a name='more'></a>Il est huit heures du matin. Je joue avec les clefs de ma voiture. Tu mordilles le rebord de ton gobelet en carton. Derrière le comptoir, les employés qui s’embêtent rient d’une histoire de beuverie. Je vois le caissier t’observer du coin de l’oeil. Le soleil du matin danse dans ta crinière rousse, créant des reflets couleur miel sauvage. Tu n’as pas dormi de la nuit et tes cheveux ruissellent le long de ton visage, docile et lumineux. J’ai ramené les miens dans un chignon gras. C’est une des raisons pour laquelle j’ai du mal à te supporter. On n’a jamais été amies. On a grandi sur le même étage, partagé la même école primaire, échangé nos profils Facebook, mais notre lien sororal s’arrête là. Pourtant, c’est moi que tu as appelée en larmes hier soir. Pourtant, c’est moi que tu as suppliée au bout du fil. Il fallait que tu rendes à l’autre bout de la province, loin de la ville, jusqu’à l’atlantique : « Je n’ai personne d’autre... » <br />
<br />
Le caissier s’approche de nous. Ses cheveux blonds lui tombent dans les yeux. Il a le menton rougi par l’acné et pas plus de dix-sept ans. Ses yeux évitent l’urne sur la table. Il nous demande si ces demoiselles désirent autre chose en lorgnant ton short trop court. Tu le chasses d’un geste de la main. Si on était amies, on en aurait ri en se couvrant la bouche comme des écolières. Mais moi j’ai pris une gorgée de café tiède et tu t’es mise à gratter une piqûre de moustique. <br />
<br />
On a filé à l’anglaise, il était cinq heures du matin. Je conduisais, les rayons du soleil levant dans mes yeux rougis par la fatigue. Tu tenais l’urne entre tes cuisses. Tu me racontais un océan noir à la gueule béante armée de crocs en schiste et des cendres grises dansant dans la brise salée. Je me suis dit que la journée allait être longue. Tu parlais de la mort lentement, avec cette douce voix amère qu’ont parfois les écorchés de la vie. J’ai allumé la radio pour me changer les idées, mais je suis tombée sur les Stones qui braillaient Paint it Black, alors j’ai écrasé le bouton du transistor avec mon index. Tu m’as regardée sans dire un mot, caressant doucement ton urne. J’ai décidé que j’avais besoin d’un café. <br />
<br />
Je commande une deuxième tasse. On a encore long de route à avaler. Tu déplies une carte routière sur la table et tu l’étudies les sourcils froncés. Le soleil plombe déjà à travers la vitre. Près de ton bras, l’urne se fait chauffer au soleil. Je pense aux cendres qui doivent cuire là-dedans avant de me rappeler qu’il n’y a plus grand-chose à cuire là-dedans: « On n’a qu’à suivre l’autoroute. » Tu lèves les yeux vers moi : « Non, on devrait prendre la sortie pour traverser le village. Il aurait adoré le village. » Je me suis mordu la lèvre, calculant le coût de ce petit détour scénique. Dehors, le caissier, probablement en pause, fume sa cigarette en traînant un peu trop près de notre fenêtre. Tu lui jettes un regard glacial et il s’éloigne en rougissant. « Tu me prêtes un stylo? » Je fouille dans mon sac et te tends un vieux crayon à la mine érodée. Tu souris. Ton sourire a quelque chose de carnassier : « On avait les mêmes à l’école, tu te souviens? » Je me souviens des cris dans la cour d’école, de mes genoux éraflés, de mes yeux pleins de soleil que je plissais en essayant de lire un livre volé à la bibliothèque. Aussi, je me souviens de toi et de tes longs cheveux roux, accroupie, qui dessinais à la craie sur le pavé, entourée de ta meute de fillettes ricaneuses. Je me souviens des douleurs qui me tenaillaient le ventre chaque matin avant d’aller à l’école, des crises de larmes que je faisais à ma mère qui tentait en vain de me calmer, parce que les voisins dormaient encore. Je me souviens de tes shorts neufs, d’un joli rose papaye, des même que j’ai achetés, mais que j’ai ruiné un après-midi, les cuisses gluantes de sang sous les regards cannibales de mes camarades. Sous ton regard carnivore, qui sans cesse guettait la moindre maladresse de ma part. J’ai la tête qui tourne. J’esquisse un faible sourire en chassant les images de ma tête : « Oui. Je m’en souviens très bien. » <br />
<br />
Tu mords dans un beigne fourré aux fraises. La confiture rouge coule sur ton menton. Tu t’essuies du revers de la main comme une gamine. Peu à peu, le café se remplit de gitans aux cheveux défaits et de bourgeois aux fesses enflées venus faire leur communion matinale. La radio en sourdine nous ramène aux étés de 70. Le ciel est d’un bleu profond. Parfois, la vie semble belle. Mais je regarde par la vitre et me rappelle que dehors rôde un monde d’urnes chauffées, de Volks usagées, de maux de ventre et de jolies rousses qui n’ont pas d’amis. <br />
<br />
J’avale ce qui me reste de café. Tu plies la carte : « C’est l’heure de repartir au combat. » Nous nous glissons dans ma Volks cernée par deux gros campers. Le siège est chaud sous mes fesses. Tu déposes l’urne entre tes cuisses. La Volks se glisse sur l’autoroute sans trop de mal. Tu fouilles dans les cds qui traînent dans la portière : « C’est drôle. On a les mêmes goûts. » Tu dis cela, mais tu allumes la radio FM. <br />
<br />
C’est donc sur un fond de musique insipide que nous sillonnons les routes estivales. En passant par le village où les petites maisons poussent au soleil, je risque un coup d’oeil vers toi. Tu as les yeux mouillés, mais ton visage reste placide. Tu serres ta petite urne un peu plus fort contre tes jambes. <br />
<br />
Sept cents kilomètres et quatre mauvais cafés plus loin, nous surplombons l’Atlantique. Le soleil vient de se coucher. La lune se lève, blanche comme un os séché. Tu dévisses le couvercle de l’urne et la secoues dans le vide. Les cendres s’envolent et sont rapidement englouties par la nuit et les vagues rugissantes. Tu inclines la tête, le temps d’un requiem silencieux. Tes cheveux roux ondoient dans le vent. J’entends l’océan claquer sa langue contre la falaise. Ta prière terminée, tu retournes à la Volks en serrant la petite urne vide. Ton pas est lourd. Le vent se lève. En entendant la porte claquer, je me rends compte que je ne t’ai rien demandé. Pas demandé pourquoi tu m’as choisie, moi. Pas demandé qui tu avais ainsi rendu à l’océan. Pas même demandé son prénom. Je m’approche du précipice, risque un regard vers le vide. L’Atlantique est une bête noire qui s’agite sous mes pieds. Je sens le café faire des vagues dans mon estomac. Je scrute l’océan et l’océan me scrute en retour.Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-44553493439539892082012-05-14T10:10:00.000-07:002012-05-14T10:10:00.295-07:00Du Jazz avec l'apocalypseFront contre le mur de l’immeuble voisin, j’essaye de cracher la fumée qui étrangle mes poumons alors que mon logement part en flamme. <br />
<a name='more'></a>On dépose une couverture sur mes épaules. La laine est piquante contre mes bras nus. J’entends mon voisin du dessus dire quelque chose à propos de cigarettes allumées et du sommeil éthylique de la voisine de droite. Je relève la tête, avale une goulée d’air. Une lueur rouge flotte dans l’encre du ciel nocturne. J’ai mal au coeur. Un pompier me dit que c’est la fumée, que je l’ai échappé belle. J’étais étendue sur mon sofa, mon casque d’écoute sur les oreilles. Je m’assoupissais aux airs syncopés de Bitches Brew, l’esprit vaseux, lorsqu’une odeur de roussi m’a frôlée les narines. Le souvenir des feux de camp de mon adolescence me remontait à l’esprit lorsqu’un pompier, son uniforme jaune maculé de fumée, a fait irruption dans mon salon. L’enfer rugissait derrière la porte ouverte. À travers sa visière, il avait le regard bouillant d’une créature de l’Hadès: «Mademoiselle. Le logement est en feu.»<br /><br />Les gyrophares se tiennent silencieux, balayant le sinistre de leurs lumières rouges et bleues. Il y a du café dans l’ambulance. La voisine, son chat rescapé sous le bras, surveille le brasier en fumant une cigarette. Lorsqu’elle me remarque, elle se tourne vers moi, quelque chose de vacillant au fond du regard: «La cigarette. C’est l’ambulancier qui me l’a donnée. » Elle m’en offre une que je refuse. Je ne supporte pas les mentholés. Son haleine marie le tabac, la mauvaise vodka et le café acide dans une écoeurante harmonie: «C’est l’ambulancier qui me les a données.» Répéte-t-elle en s’adressant au brasier plus qu’à moi. Je hausse les épaules et m’assois pour regarder ma petite vie se faire dévorée par les flammes. Les pompiers sautillent comme des démons devant l’immeuble. Bitches Brew me tourne dans la tête, m’envahit l’oreille interne et me renverse les sens. J’ai comme des pierres dans l’estomac. La nausée me remonte à la gorge, amère et gluante. Je vois mes disques fondre au milieu du brasier alimenté par mes cahiers de composition, leurs cris d’agonie comme des violons désaccordés. Je me penche, prends ma tête entre mes mains. La voisine fronce les sourcils: «Ça va?» Un spasme me secoue l’estomac, puis je vomis sur le pavé. En remontant, la bile me brûle l’oesophage. Un frisson me frôle l’échine. Le chat gronde. À mes pieds vacillent des tisons orangés, gluants de fiel. La voisine ne me regarde plus, elle écrase son mégot du bout de sa pantoufle. Je m’essuie la bouche avec la couverture rugueuse. <br /><br />Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-31465618234174560302012-05-07T11:16:00.002-07:002012-05-07T11:16:56.974-07:00BeyrouthMais pour ce qui est du reste, je préférais ne plus y penser. Je venais de commander un espresso au café du coin, lorsque la tasse bouillante, que j’ai négligée de prendre par l’anse, m’a glissé des mains. <br />
<br />
<a name='more'></a><br />
Le bruit de la porcelaine fracassée sur le carrelage m’a ramené à ce samedi matin où tu as grondé le chat parce qu’il avait jeté par terre ton assiette préférée. Celle que tu as rapportée de ton stage à Beyrouth, l’an dernier. Alors que tu pestais contre la bête, je suis allée trouver le porte-poussière, la tête pleine de tes histoires de sable brûlant sous le soleil de juillet. Je t’imaginais pieds nus, sautillant sur la plage pour attraper les sandales que tu avais oubliées près de ton sac. Tu as envoyé le chat sur le balcon d’un coup de pied. Je me suis penchée pour ramasser ce qui restait du souvenir en pièce sur le linoléum: «Cette assiette, elle ne faisait que ramasser la poussière de toute manière». Tu as craché dans le cendrier avant de t’allumer une cigarette. Le chat geignait, les pattes pressées contre la porte-fenêtre. J’ai jeté les morceaux dans la poubelle: «Il faudrait changer le sac avant qu’il perce.» Je me suis retournée. Tu fumais en silence, le front appuyé contre ta main. La fumée avait des relents salés. En faisant un pas vers toi, j’ai tressailli de douleur. Un gros éclat de porcelaine s’était logé dans mon orteil. Il n’y avait pas de sang, je l’ai arraché avec mes doigts. Tu m’as regardé, mais je savais que tes yeux rougis nageaient dans la méditerranée. Tu pensais à cet après-midi au bord de la plage, à cette enfant qui s’est aventurée trop loin dans la mer, qui se débattait dans les vagues. Tu avais jeté ton t-shirt pour plonger à sa rescousse. On t’as applaudi en maudissant ton courage. Le courant était puissant. Tu as gardé une coupure de presse de l’évènement. <br /><br />Je ne peux pas lire le texte. Tes cheveux sont défaits par les vagues, tes bras saillants où perle l’eau de la mer carnassière protègent l’enfant qui regarde l’objectif avec de grands yeux noirs. Tu souris. Le lendemain, la méditérannée s’était tenue tranquille. Pendant ce temps, moi, j’étais à l’appartement, occupée à lire sur le sofa, les pieds sur le ventilateur, essayant d’oublier la chaleur qui plombait sur la ville. En rentrant à Montréal, tu avais reçu un appel de Beyrouth. Le père de la petite. D’une voix éteinte, il t’a raconté comment sa mère, gravement dépressive, avait noyé l’enfant dans le bain. «Faut croire qu’on est jamais mieux servi que par sois-même», ai-je plaisanté. On ne s’est pas parlé pendant trois jours. <br /><br />Tu t’es levé en marmonnant que tu avais besoin d’air frais. J’ai ouvert la porte pour laisser rentrer le chat. Du regard, j’ai fait le tour de l’appartement. Tes livres, tes vêtements, tes sandales usées, tout était imprégné d’une lourde odeur de poisson qui enserrait mes poumons. Un puissant vertige m’est monté à la tête. <br /><br />«Ne vous en faites pas», la voix de la barista m’a ramenée au café. Elle tenait une serpillière humide. Je sentais mon coeur battre contre mes paumes rougies. «Ça arrive tous les jours.»Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-55367525811327991462012-05-05T09:39:00.002-07:002012-05-05T10:09:13.991-07:00<h2>
La perruche est morte</h2>
<h4>
</h4>
<i>And I'm looking over rooftops</i><br />
<i>And I'm hoping that it ain't true</i><br />
<i>That the same God who looks out for them looks out for me and you</i><br />
- Josh Ritter<br />
<h3>
</h3>
<br />
<a name='more'></a><br />
On s’est glissé hors de la maison avant le levé du soleil. Les oiseaux ne chantaient pas encore. On s’est mis au travail, pieds nus dans l’herbe humide. Il avait emprunté une pelle dans le cabanon de la voisine. J’avais creusé avec mes mains. Une fois le travail accompli, on avait déposé la boîte dans le trou. En jetant la première pelletée de terre, on avait échangé nos souvenirs d’elle en rigolant, les yeux rougis. On ressemblait à une paire d’ancêtres mettant un vieil ami en terre. Si la voisine nous avait vus, je ne sais pas ce qu’elle aurait pensé. En achevant de remplir la fosse de notre perruche, mon frère m’avait lancé: «Au moins, ça te donne une excuse pour pleurer.»<br />
<br />
Alors que le corps de la perruche nourrit les crocus, notre père vit encore. Même s’il reste au lit toute la journée. Même s’il compte ses jours à coup de gitanes, cultivant les métastases dans le jardin de ses bronches. <br />
<br />
Lorsque le médecin lui avait montré la photo d’un poumon cancéreux, papa avait plissé le nez: «On dirait un steak trop cuit». Mon frère s’était enfermé dans son appartement avec sa guitare pendant trois jours. J’avais passé la semaine à ramasser ce qui restait des fragments de notre famille. <br />
<br />
La perruche, c’est l’idée de mon frère, un dimanche où il s’était réveillé l’âme humaniste. Il s’était figuré que le pauvre homme devait s’embêter seul dans sa chambre, entre ses gitanes, ses rideaux tirés et ses livres jaunis. J’avais déjà tenté de lui acheter une télévision pour lui changer les idées. Mais deux jours plus tard, il l’avait emboutie d’un solide choc littéraire. «C’est que de la merde!» qu’il s’était exclamé en brandissant l’intégral de Proust. Malgré la violente quinte de toux qui lui secouait les os, il avait balancé le pauvre bouquin en plein dans l’écran. <br />
<br />
Le jour où mon frère a rapporté l’oiseau à la maison, papa a failli s’étrangler de rire: « Un canari. Tu veux voir lequel de nous deux mes cigarettes vont tuer en premier?» Mon frère avait soupiré: «C’est une perruche, papa.»<br />
<br />
Perruche ou canari, peu importe. C’est papa qui avait fini par gagner; la pauvre bête est morte asphyxiée, trois jours plus tard. Mon frère a accusé les moisissures qui poussaient dans les racoins de la maison. Moi, j’avais vu papa se traîner hors du lit pour aller cracher sa fumée dans la cage. Je n’ai rien dit. Les oiseaux sont des animaux fragiles.<br />
<br />
On a décidé de l’enterrer pendant que papa dormait, ses rêves portés par le souffle mécanique du respirateur. En rinçant mes mains sous le boyau d’arrosage, j’ai senti ma gorge se resserrer. <br />
<br />
Mon frère s’est moqué de moi. Il disait que je n’avais pas à être triste, que moi au moins, ma vie était pleine: une paire de souliers neufs, une voiture usagée, un père encore en vivant, tout ce que la vie peut offrir de mieux. Pas de quoi pleurer. Papa m’avait dit la même chose le jour où nous revenions de chez le docteur. <br />
<br />
Mon frère roule ses cigarettes avec ses larmes, parce qu’il ne peut plus se permettre de gaspiller sa salive. Quand on choisit de vivre de sa musique, il faut faire des sacrifices. Il pleure sur sa guitare, lubrifiant sa poésie du même coup. Pendant ce temps, je glane mes malheurs en silence et je les glisse sous mon matelas, comme les Playboys seconde main de mon adolescence.<br />
<br />
«La perruche, elle ne chantait même pas bien», a dit mon frère en crachant sur la tombe. Il a jeté la pelle dans l’herbe avant de rentrer boire un café. <br />
<br />
Cet après-midi, il s’est pointé chez moi, les yeux rouges et la chemise froissée. Il veut emprunter ma voiture pour aller acheter une radio à papa. Alors que je lui refile les clefs, il me souffle, un sourire en coin: «Si on ne fait rien, c’est notre passivité qui va finir par le tuer.» Comme si les fleurs cancéreuses qui s’épanouissent dans ses poumons n’étaient là que pour annoncer le printemps. Je suis retournée à la cuisine finir ma bouteille de vin. <br />
<br />
Papa a jeté la radio par la fenêtre. «C’est que de la merde!» qu’il s’est exclamé avant de la défenestrée. Je l’ai recueillie pour l’offrir à mon vieux voisin. Ce matin, il fait jouer L’Été de Vivaldi dans le tapis. Les violons rugissent et secouent les murs de ma chambre. Térassé par les cauchemars et le reflux gastrique, j’essaye de rattraper mes nuits blanches. Mais je n’arrive pas à dormir. Mes draps sentent la fumée. J’ai mal au coeur.<br />
<br />
Sous le soleil plombant de mai, j’arrache les mauvaises herbes qui étranglent les crocus de papa. La voisine me guette. L’oeil vicieux d’un chat sauvage brille sous sa casquette. Sa fille joue dans la terre avec une pelle de plastique. «Comment va votre père?». J’ai baissé les yeux vers le jardin: «Bien.»<br />
<br />
Je sais déjà ce qu’elle va me dire. Elle va me raconter comment son frère a survécu à un cancer du côlon en ingurgitant trois litres d’eau ionisée par jour. «Les médecins ne lui donnaient même pas deux mois. Chez nous, on ne boit plus d’eau du robinet» a-t-elle ajouté en surveillant sa petite du coin de l’oeil. «On a acheté un filtre spécial. Cinq cents dollars, mais pas l’ombre d’une grippe depuis l’automne.» Alors que je sue à grosses goûtes et que de gros cercles gris florissent sous les manches de mon t-shirt, elle me parle d’eau alcaline et me décrit des sources d’eau cristalline courrant le long des montagnes himalayennes: «C’est une eau gorgée d’air frais, c’est pour cela qu’ils n’ont pas de cancer là-bas.» Elle s’est interrompue, tendant une oreille. Par la fenêtre ouverte, j’entends mon père tousser à s’en exorciser le squelette. Elle pose une main moite sur mon épaule. Je me raidis. «Ce qu’il faut, c’est avoir la foi. La vie est forte.» Sur ces mots, elle est rentrée dans sa cour. Entre mes doigts, un mille-pattes trottine, ses petites pattes se font un chemin parmi les cailloux et les mauvaises herbes. Je l’ai écrasé avec mon pouce. <br />
<br />
Papa rigole entre ses quintes de toux râpeuses: «De l’eau cristalline, mon cul. Il paraît qu’ils avaient engagé un chaman, aussi. Il était venu purifier sa chambre avec des branches de sauge. Le pauvre con n’a pas pu supporter la vue de l’anus artificiel. Le sac était plein de merde. Prêt à exploser. Les infirmières avaient oublié de passer ce jour-là.» Il termine en marmonnant quelque chose que je ne comprends pas et replonge dans son livre. Je termine ma bière en silence. <br />
<br />
Mon frère attend devant la porte de mon logement. Il pleure, une bouteille de mauvais vin coincée entre les cuisses. Je l’ai assis dans le salon. Ses vêtements empestent la cigarette. Il répète que tout est de sa faute. Il finit par s’endormir sur le sofa, sa respiration profonde, semblable à un petit garçon. J’ai bu ce qui restait de la bouteille, guettant le retour du soleil par la fenêtre en croquant des tablettes antiacides. <br />
<br />
Les mauvaises herbes sont sans pitié pour les crocus. «Comment va-t-il?» «Bien», ai-je répondu sans me retourner. Ma voisine s’est penchée sur le jardin, inspectant les fleurs. «Qu’est-ce qu’il fait là-haut? Soit je l’entends sacrer comme un bûcheron et jeter le mobilier par la fenêtre, soit je l’entends tousser à s’en vomir les poumons. Y a plus de limites. Ça rend la petite nerveuse. Elle pleurait, hier soir.» J’ai arraché un pissenlit. «Il relit. Il n’arrive plus à dormir, à cause de la machine.» «Il relit? Quoi?» Je me suis tournée vers elle. «Sa bibliothèque. Il est rendu à Sade, je crois.» Au fond de ses yeux félin, je la vois considérer la chose, imaginer mon père dans la pénombre, seul au lit avec ses livres, une main glissée dans son slip à se caresser le sexe parce que face à la mort, on profite de ce qu’il nous reste. Elle est rentrée chez elle.<br />
<br />
En creusant, je me suis coupé la main sur un caillou effilé. J’ai appuyé mon pouce contre les lèvres de ma blessure. La terre a avalé le sang. Il fait trop chaud pour un jour de mai. Je suis rentré boire un verre d’eau. Mon père somnole enfin, les 120 jours de Sodome posé sur le visage pour se couper de la lumière de l’après-midi. Je m’approche pour lui mettre son masque. Sur la commode, il y a des vieux pots de confiture remplis de terre. À l’intérieur remuent de gros vers.<br />
<br />
Cette nuit, j’ai rêvé à la perruche. Des crocus aux tiges souples et luisantes la secouaient et l’étranglaient. Il y avait des plumes jaunes partout. La voisine de papa, les yeux jaunes comme un lynx, regardait la scène en riant. Elle serrait un exemplaire racorni de Sade contre ses seins.<br />
<br />
«Il veut se faire enterrer.» Il a renversé du café en déposant sa tasse. Mon frère a un air de vampirisé. La peau cireuse et les yeux rouges. «Les vers de terre, c’était son idée. Il m’a demandé d’en récolter dans le jardin. Vieux con.» Il a allumé une cigarette. J’ai posé ma main sur la sienne. « Si c’est ce qu’il veut, je vais m’occuper des arrangements. T’en fais pas.» «Je veux lui écrire une chanson. Pour les funérailles. Ça sera ma meilleure» J’ai pris une gorgé de café. «Mais tu t’en fous pas vrai? De ma musique?». J’ai haussé les épaules. <br />
<br />
Je bois une bière dans le jardin de papa. La voisine est passée m’offrir de l’engrais bio pour les crocus. «Vos plantes étouffent. Il faudrait des vers pour aérer la plate-bande.» J’ai hoché la tête. «Je peux appeler mon ami, pour votre père. Il suffit d’y croire, vous savez.» «Non, merci.» Elle a grimacé. Sur le patio, sa fille s’amuse à découper un mille-pattes du bout de sa pelle. Elle a le regard félin de sa mère. <br />
<br />
Mon frère a les yeux de mon père, lorsqu’il ne sont pas rougis. Mon père n’a jamais les yeux rouges. Il ne pleure pas. Il reste couché et lit avec ses vieux bouquins en fumant ses gitanes. Moi, j’ai les yeux secs à force de passer mes journées au soleil, à labourer le jardin. <br />
<br />
Hier soir, alors que je donnais de la terre fraîche à ses vers, papa m’a regardé droit dans les yeux: «Je vais mourir.» J’ai soutenu son regard, ses prunelles frémissaient dans l’ombre. Sa respiration était devenue trop lourde.<br />
<br />
C’est la sonnerie du téléphone qui m’a tiré des griffes de mon cauchemar. Mon frère. La voix pleine de gravier: «Papa est mort dans son lit, cette nuit. Il faut que tu viennes à l’hôpital faire les arrangements.» «Et le jardin? Papa me tuerait si je n’arrosais pas le jardin.» «La voisine m’a promis de s’en occuper cet après-midi. Viens, s’il te plaît.» Aux creux du téléphone, j’ai retrouvé dans ses mots suppliants le petit garçon que mon père avait tant aimé. <br />
<br />
Les chiffres rouges du cadran indiquent six heures du matin. J’ai raccroché en esquissant un sourire carnassier, imaginant le cri d’horreur de la fille de la voisine retournant la terre avec sa pelle et découvrant le cadavre putrescent de la perruche. Dévoré par les vers.Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-22024923099301362402012-02-27T08:56:00.000-08:002012-02-27T08:56:36.517-08:00Memento Mori ou photos de famille<span style="font-size: x-small;"><i>But now she's dead<br />
Forever dead<br />
Forever dead and lovely now</i><br />
- Tom Waits</span><br />
<br />
<br />
Elle était belle sur sa photo, ma soeur. Elle portait une robe marine au collet bordé de dentelle. On aurait dit une poupée victorienne, à cause de son regard vitreux et de son visage dont les joues trop fardées ne parvenaient pas à éclipser le teint lunaire. Ses cheveux châtain avaient été ramenés en un chignon élégant et sa tête était légèrement inclinée, comme si le photographe l’avait surprise, au lieu de sourire, en train de songer à la précarité des choses du monde. Elle était belle sur sa photo, ma soeur, mais elle était aussi morte. <br />
<a name='more'></a><br />
<br />
Mes parents m’avaient envoyé par la poste cet étrange portrait pour me convier aux funérailles et c’était cette même photo qui trônait près de l’urne. Elle avait été glissée dans un cadre rococo de mauvais goût, comme seuls mes parents pouvaient en déniché. La peinture dorée scintillait à lueur des cierges. Évidemment, dans le salon, les murmures rampants des pleureurs ne parlaient que de cette photo. Au début de la soirée, les gens étaient venus m’offrir leurs plus mièvres condoléances, les yeux mouillés, mais le fond du regard accusateur, comme si ça avait été mon idée de photographier le cadavre de ma soeur accoutré comme une poupée prête à prendre le thé. C’était plutôt elle qu’il fallait blâmer pour la chose. Il faut se méfier des artistes aux idées noires qui non seulement pensent à rédiger leur testament à vingt-sept ans, mais qui de plus réclament une photographie post-mortem, style XIXe siècle, pour leurs funérailles. <br />
<br />
Mon amie s’est approchée de moi. J’ai senti sa main effleurer la mienne. « Tu veux sortir fumer? » <br />
<br />
Dehors, j’avais froid dans ma robe trop mince. Nous fumions contre le mur sans dire un mot. « Non mais tu as vu le cadre? » a lancé mon amie pour trancher le silence. Nous avions échangé un regard, puis nous avions pouffé. Ensuite, mon amie est redevenue grave : « Les médecins vous ont expliqué, à l’hôpital? » J’ai haussé les épaules : « Ils ne savent pas encore, ils croient à une embolie. Mes parents l’ont retrouvée dans sa chambre noire, morte. » Évidemment, ma soeur était photographe. Elle passait son temps à prendre des clichés d’instants volés à des étrangers : des enfants sales fumant dans un parc, un chien pissant sur un grand mur de briques, des garçons faisant l’amour derrière une fenêtre ou encore des autoportraits d’elle, nue, le corps tordu comme sur une esquisse d’Egon Schiele, son sexe défiant le regard des observateurs. Mais sur ses murs ou dans ses albums, aucune trace de sa famille. <br />
<br />
Bien sûr, moi, j’ai gardé quelques photos de nous deux. De moi et d’elle lorsque nous étions petites. On peut nous voir, nos petits corps nus dans un décor de plage gris à faire des cercles dans le sable humide, du bout d’un bâton, ou encore souriantes, moi les joues déjà gonflées, devant un gâteau de fête, ou de ma soeur qui rigole en me serrant dans ses bras, pendant que je fais la moue. Des genoux éraflés, des dents croches, des t-shirts tâchés, des joues rosies parce qu’ont avaient pleuré juste avant que mon père appuie sur le bouton. Tous ces souvenirs maintenant recouverts d’un linceul de cendres. <br />
<br />
J’ai écrasé ma cigarette du bout ma ballerine. « Elle a trouvé l’idée dans un livre sur la photographie du XIXe siècle. » « Au moins, on va se souvenir d’elle », a répondu mon amie avec un sourire aigre-doux. Elle m’a raccompagnée à l’intérieur du salon où nous attendaient les pleureurs. <br />
<br />
Ma soeur n’avait aucune photo de sa famille. Mais, avec le temps, les autres auront des photos de moi, souriante, rieuse ou sérieuse, moi en diplômée, moi en voyage, moi en mariée. Mais restera immobile au-dessus du foyer, dans un cadre rococo nimbant son visage de porcelaine, un portrait de ma soeur, son regard interrogeant l’éternel. Derrière, une date griffonnée à l’encre indélébile.Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0Sherbrooke, QC, Canada45.4004791 -71.883735545.3587981 -71.948354 45.442160099999995 -71.819117tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-84675603552284510772012-02-06T19:16:00.000-08:002012-02-06T19:16:56.954-08:00Les mendiantes<span style="font-size: small;"><i><br />
From then on, if these shoes are no longer useful, it is of course because they are detached from naked feet and from their subject of reattachment [...]. It is also because they are painted: within the limits of a picture, but limits that have to be thought in laces. Hors-d’œuvre in the œuvre, hors-d’ œuvre as œuvre: the laces go through the eyelets (which also go in pairs) and pass on to the invisible side.</i></span><br />
- Derrida<br />
<a name='more'></a><br />
<br />
<br />
À les voir ainsi, on aurait dit des mendiantes, une paire d’orphelines à la peau ridée comme celle des vieillards. C’est à cause du soleil. Elles ont marché jusqu’à user leurs pieds calleux et on les surprend comme ça: accroupies sur le plancher de terre battue, la langue pendante et les chevilles tordues par les ornières de la route. <br />
<br />
C’est un peintre qui les a dénichées un matin, lors d’une promenade au marché aux puces. Une paire de bottes épuisée au milieu d’un bazar de misères usagées, les lacets raidis par la boue pendant au bout de la table. <br />
<br />
Ces lacets qui ont goûté à la terre meuble des champs s’enlacent maintenant dans l’empâtement de la peinture, capturés par la spatule nerveuse du peintre. Il sillonne la toile d’un geste sec, guidé par la courbe cassée des lacets. <br />
<br />
Les bottes ont l’échine tordue à force d’avoir été abandonnées, jetées contre un mur, par des ouvriers éreintés. Leurs bouches béantes expirent ce qui leur reste de souffle. Leur haleine à une odeur de poussière moisie par la sueur. Et les lacets tombent tristement. Ils n’ont plus la force de retenir le pas d’un marcheur. <br />
Le peintre soupire, nettoie sa spatule sur un chiffon tâché. Il ne peint pas de natures mortes. Il peint des solitudes sépia, le portrait ridé de sa tristesse. Sous les semelles, il étire l’ombre des bottes. Du bout d’un pinceau, il fait frissonner une tache jaune clair, ébauche la lumière qui avale le bout des lacets.<br />
<br />
Sur le cuir des bottes, l’histoire des chemins s’est esquissée à grands traits de poussière blanche. Au fil des excursions, elles s’étaient transformées en fresque. Lorsqu’on les laissait au bord d’un sentier, le temps de se rafraîchir les pieds dans un ruisseau, elles évoquaient aux passants la douleur lancinante des ampoules crevées et le bruit sec d’un lacet qui se rompt.<br />
<br />
Le peintre trace les oeillets en jaune, y fait scintiller une lumière chaude. Les bottes l’observent en silence, se demandent ce qu’on attend encore d’elles. Elles qui ne désirent plus que mourir dans l’ombre fraîche d’un placard. Le peintre s’éclaircit la gorge d’une lampée de vin tiède. Sa chaise craque sous le poids des heures. Il mêle les jaunes et les rouges sur sa palette, y ajoute un peu de bleu. Par cette étrange alchimie, il fait naître les couleurs de la terre cuite au soleil.<br />
<br />
Comme des bottes mouillées pendues à un clou par les lacets, le peintre suspend le tableau pour laisser la peinture séchée. Assoiffé, courbaturé, il songe à descendre au café, à noyer sa fatigue dans un verre d’absinthe. Il coiffe son chapeau et veut enfiler les bottes, mais il s’aperçoit que les semelles sont trouées. Grimaçant, il lace de vieilles chaussures et oublie les bottes sous sa chaise. <br />
<br />
<br />
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-wQKGQ3hck8k/TzCXF9fdLZI/AAAAAAAAAB0/hn6SxxHKOiY/s1600/van-gogh-a-pair-of-shoes.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="266" src="http://2.bp.blogspot.com/-wQKGQ3hck8k/TzCXF9fdLZI/AAAAAAAAAB0/hn6SxxHKOiY/s320/van-gogh-a-pair-of-shoes.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><i>Vieux souliers aux lacets</i>- Vincent Van Gogh (1886, huile sur toile)</td></tr>
</tbody></table>Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com1Sherbrooke, QC, Canada45.4004791 -71.883735545.3587981 -71.948354 45.442160099999995 -71.819117tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-35591699569540571152012-01-30T18:09:00.000-08:002012-01-30T18:09:23.814-08:00EntracteLe silence stagne dans l’appartement. La lumière du matin s’arrête à la fenête, semble hésiter à la traverser. Se colle le nez sur la vitre et observe. Dans la pièce, la lueur d’une lampe, allumée quelque part, chasse les dernières traces de la nuit. <br />
<a name='more'></a><br />
<br />
Sur le sofa, une femme est recroquevillée. Un chat dort près d’elle, sa lente respiration est effacée par le clair-obscur de la pièce. Entre ses mains, la femme serre une tasse de café. Du bout des doigts, elle caresse une fissure qui lézarde la porcelaine. Le chat remue les moustaches. La femme regarde la fenêtre sans regarder l’horizon. Plisse les yeux. Le matin se découpe à travers le givre. Il doit faire froid dehors.<br />
<br />
Il faisait froid ce soir-là. La lumière rouge et bleu des véhicules de secours glissait sur la neige. Le ventre de la voiture évincée, ses entrailles vomies sur la route glacée. Et le corps de l’homme prisonnier de la carcasse défoncée par l’impact. Le sang sur la neige se mêlait au rouge des gyrophares. Le témoignage tremblant de la femme se noyait dans le hurlement des sirènes. Sa silhouette avalée par les phares des voitures.<br />
<br />
Le chat étire ses pattes, frôle les cuisses de la femme qui ne bouge pas. Son index fait des allers-retours sur la fissure de la tasse, va et viens en zigzag sur la porcelaine. Elle a les cheveux défaits qui lui tombent sur les épaules. Elle porte une chemise sale, peut-être pas de soutien-gorge parce que ses seins pointent sous la flanelle. <br />
<br />
Ils sortaient du cinéma et marchaient rue Saint-Denis, les bottes dans la neige molle, se frayant un chemin entre les jupes trop courtes et les jeans raidis par le sel. Elle avait glissé ses mains dans les poches de son manteau. L’homme parlait rapidement, découpait les scènes du film. Elle l’écoutait, sans doute distraite, observant les passants qui déambulaient autour d’eux. Il avait dit qu’il avait froid, qu’il prendrait bien un verre pour se réchauffer, avant de rentrer. <br />
<br />
Dans le décor de l’appartement, on entend le tictac d’une horloge. Sur le sofa, le chat garde les yeux fermés, mais dresse les oreilles. On dirait qu’il écoute les secondes fuir. À pas feutrés, la pénombre cède sa place à la lumière matinale. Le café doit avoir tiédi dans la tasse lézardée, mais la femme ne boit pas de toute façon.<br />
<br />
On pouvait voir les chiffres verts du cadran indiquer minuit passé lorsqu’ils s’étaient glissés dans la voiture. L’homme parlait fort, rigolait. Elle avait souri, avait dit qu’elle était fatiguée et qu’elle avait hâte de rentrer. Par la fenêtre, la neige ne scintillait pas parce que le temps était couvert.<br />
<br />
Sur le sofa, la femme couvre sa bouche d’une main, renverse du café sur son genou parce qu’elle tremble trop fort. Le crissement des pneus résonne dans l’appartement, couvre le tictac de l’horloge. Le souvenir rouge et le bleu des gyrophares brasillent dans ses yeux humides.<br />
<br />
Les lumières tranchaient la nuit. La femme était emmitouflée dans une couverture de secours, le regard vide. L’agent lui avait offert un mince sourire, jurant avec ses yeux carnassiers qui l’étudiaient, toisaient la rougeur dans ses joues, son nez cherchait une lourdeur dans son haleine. Il avait dit quelque chose qu’elle n’avait pas compris parce que le crissement des pneus résonnait, débordait de la scène.<br />
<br />
Huit heures sonnent à l’horloge. La femme soupire comme si elle tentait de chasser toute l’angoisse de ses poumons, s’essuie les yeux avec la manche de sa chemise. Une minute passe et l’horloge se tait. Le chat ouvre les yeux, s’étire lentement et saute par terre. C’est l’heure de manger.Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0Sherbrooke, QC, Canada45.4004791 -71.883735545.3587981 -71.948354 45.442160099999995 -71.819117tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-82470536631352943722012-01-16T14:36:00.000-08:002012-01-16T15:07:30.624-08:00Rengainehttp://www.youtube.com/watch?v=__OSyznVDOY<br />
<a name='more'></a><br />
Mon tourment est une bête sauvage. <br />
<br />
Toute la journée, il trotte dans mon appartement, traîne dans les racoins poussiéreux, suspend son ombre au-dessus de mes compositions avortées. <br />
<br />
La nuit venue, je crois enfin l’avoir oublié qu’un voisin passe dans le corridor en sifflant deux notes et le revoilà qui se glisse sous mon oreiller et pénètre mon oreille.<br />
<br />
Par quelque magie noire, mon tourment est né de mon stylo qui l’a craché entre les taches de vins et les rayures de ma feuille de portée. J’ai voulu m’en débarrasser, mais personne ne voulait de cet air contrefait, pointu et farouche. <br />
<br />
Mon tourment est une bête insomniaque. <br />
<br />
Depuis qu’il s’est grugé un trou dans les murs de mon appartement, je ne dors plus. Entortillé dans un drap de sueurs froides, je peux voir ses yeux blanchis par la rage me guetter dans le noir. <br />
<br />
J’assomme la nuit à coups de cafés noirs. J’ouvre toutes les fenêtres de mon appartement et je fais hurler Charles Mingus jusqu’à ce que la voisine appelle la police. Mais mon tourment est une bête patiente. Dès que les agents ont claqué la porte, il s’allonge sur le lit et fredonne en me lançant un sourire tranchant. <br />
<br />
Vincent est venu me voir ce matin. Il s’est moqué de ma gueule froissée de mangeur d’opium. M’a demandé où j’étais disparu. Je lui ai offert un espresso qu’il a allongé d’un trait de cognac. Puis, je lui ai présenté mon tourment. Il s’est penché sur lui, a ajusté ses lunettes et l’a caressé du bout de la main. <br />
<br />
La bête a ronronné de plaisir sous les doigts fins du musicien.<br />
<br />
Vincent a soupiré en le repoussant: « Tu as raison ça ne vaut rien. Viens faire un tour lundi, si tu veux. »<br />
<br />
À force de dévorer les disques que je lui jette à la figure, mon tourment a grossi. Il étend sa pense sur mon bureau, ronge mes stylos, lèche les taches d’encre et de café sur mes doigts. Mon tourment se fiche de la musique. Il attend que je tombe de fatigue pour me sucer la chair et se faire un nid sous ma peau. <br />
<br />
À même mes partitions, j’ai rédigé une liste des moyens de le zigouiller :<br />
- Tarauder le crâne encéphalitique avec une perceuse. <br />
- Remplir mes stylos avec de l’arsenic.<br />
- Lui composer un frère et les laisser s’entredévorer.<br />
<br />
Sur la feuille, les phrases dévorant la gamme formaient un étrange palimpseste. Je me suis recalé dans ma chaise, considérant mes options. Indifférent, mon tourment qui ne savait pas lire, rongeait ma guitare.<br />
<br />
Ce matin, j’avais promis à Vincent de passer au studio. J’ai coiffé une casquette pour cacher mes yeux rougis par l’insomnie et j’ai glissé mon tourment sous mon bras. <br />
<br />
C’est au tournant du métro que l’idée m’est venue. <br />
<br />
Blotti contre un mur avec son harmonica, un clochard poussait quelques notes asthmatiques dans l’air froid. Une tuque posée devant lui implorait d’être nourrie. En passant devant lui, j’ai glissé ma partition dans la geule de la tuque. Le clochard s’est penché, a observé la créature blottie dans les mailles du tricot et m’a remercié d’un signe du menton où le frimas poussait entre les poils de sa barbe. <br />
<br />
Je me suis éloigné en savourant le silence amorti par la neige.<br />
<br />
On retrouvera le clochard demain matin. Mort. Dévoré par le froid ou la misère, naturellement.Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com2Sherbrooke, QC, Canada45.4004791 -71.883735545.3587981 -71.948354 45.442160099999995 -71.819117tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-37470654027024101502012-01-03T09:29:00.000-08:002012-01-03T09:30:37.041-08:00Fissures<b style="font-family: "Courier New",Courier,monospace;"><span style="color: black;">Fissures</span></b><br />
<br />
<br />
<br />
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<br />
<br />
<i>She said "How you gonna like 'em, over medium or scrambled?",<br />
You say "Anyway's the only way", be careful not to gamble<br />
On a guy with a suitcase and a ticket getting out of here<br />
It's a tired bus station and an old pair of shoes<br />
This ain't nothing but an invitation to the blues</i><br />
<br />
<i>-</i>Tom Waits <i><br />
</i><br />
<br />
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<a name='more'></a><br />
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<b style="font-family: "Courier New",Courier,monospace;">N</b>ous voici. Salem et moi, moi et ton père. Assis dans l’herbe à attendre le train à l’ombre des avions qui traversent le ciel. Salem a glissé son blouson de cuir sous ses fesses et nous faisons une partie d’échec pour tuer le temps. Dans quelques heures, nous quitterons cette ville pour de bon. D’entre ses dents jaunies et sa cigarette, Salem siffle Cat’s in the cradle. <br />
<br />
Il avait arrêté de fumer à ta naissance, tu sais. <br />
<br />
Toi et moi, en train de prendre froid au parc. Tu ne voulais pas jouer avec les autres enfants. Ceux qui te lançaient sans cesse des noms. Nous nous étions assis au sommet de la glissoire pour compter les avions. Tu savais à peine compter jusqu’à dix. La peau écorchée de tes genoux était verdie par l’herbe. Tu avais le regard sombre de ton père.<br />
<br />
J’avance mon fou sur l’échiquier. Salem mâche sa cigarette. <br />
<br />
Il avait arrêté pour te laisser naître en respirant pour de bon. <br />
<br />
Ton père ne craint plus les cancers. Nos coeurs ne sont plus que cancer sous une peau rapiécée, de toute façon.<br />
<br />
Un train gronde.<br />
<br />
Le jour tire à sa fin. Nous avons froid dans nos foulards. Face au crépuscule, loin du regard des idiots, je peux oublier quelques instants les chiens décharnés et les rapaces qui hantent les chansons de Salem. Il se lève et dit qu’il va chercher du café à la gare.<br />
<br />
C’était un matin d’automne, tu t’étais cassé la dent contre le banc du parc. Il avait plu la veille et le bois était encore humide. Tes souliers avaient glissé. Il y avait du sang partout. Tu pleurais. Pour te consoler, nous avions fait l’école buissonnière, puis nous étions allés acheter une citrouille à l’épicerie. Avec le gros feutre noir, je lui avais dessiné la plus vulgaire des grimaces, histoire de faire peur aux gamins du quartier que tu détestais tant. <br />
<br />
Le soir d’Halloween, nous nous étions moqués des pleurs des petits enfants et des protestations de leurs mères alors que Salem, occupé à esquisser ses squelettes, roulait les yeux.<br />
<br />
Salem souffle sur mon café, dit que je n’aurai pas de problème à me trouver du boulot dans une autre université. Je baisse les yeux sur le jeu, évitant son regard comme on évite les barils d’un fusil de chasse. Il ajuste son foulard et joue sa reine.<br />
<br />
À ton enterrement, j’avais mis ma robe orange, ta préférée, avec mes talons rouges. J’avais la dégaine d’une lune d’automne, histoire de me faire détester des vautours banlieusards qui auraient voulu me voir tout en noir.<br />
<br />
Tu avais demandé à Salem pourquoi on ne pouvait pas adopter de chat. Ton père avait caressé tes cheveux, t’avais appelé son petit loup-garou, t’avais raconté comment les chats, la nuit venue, rampaient dans le lit des enfants endormis pour dérober leur souffle. Tu avais fait des cauchemars pendants trois semaines. <br />
<br />
J’ai capturé la reine de Salem. Il me dégaine un sourire de tigre indien, l’avale en une gorgée de café tiède, puis détourne les yeux vers le crépuscule. <br />
<br />
Je voudrais qu’il me sourie encore, histoire de faire un doigt d’honneur aux ruminants que nous avons laissés derrière nous. Son regard humide me ramène au couvercle poli de ton petit cercueil. <br />
<br />
Nous regardons un chat noir déambuler sur les rails du chemin de fer, son corps ondulant sous les derniers rayons du soleil. J’entends le train siffler. Je serre les mains contre mon gobelet. <br />
<br />
Salem a mis du lait d’amande dans mon café, comme il le faisait tous les matins, lorsque nous étions jeunes. <br />
<br />
« Tu crois que nous serons heureux, là-bas? » Une voix rauque perce le silence. C’est la mienne.<br />
<br />
Salem baisse les yeux. De son sérieux de gitan, il agite le marc au fond de son gobelet, s’arrête et observe. Puis, il relève la tête. Son regard noir filtre le ciel. De la poche de son blouson, il tire un flacon argenté et allonge son café avec du bourbon.<br />
<br />
<br />
*<br />
<br />
<b style="font-family: "Courier New",Courier,monospace;">L</b>e train sera en retard.<br />
<br />
Perché sur la muraille, ma silhouette se dresse comme un corbeau contre le soleil qui se meurt. Je n’ai qu’un chandail de laine humide pour chasser le froid qui tenaille ma patience. À ma droite, un chat noir fait sa toilette sur les rails du chemin de fer, prêt à risquer une vie contre un moment d’insouciance. <br />
<br />
Mon chat n’a pas eu la même chance. Il est mort un dimanche matin. <br />
<br />
C’était arrivé alors que le chien du voisin en eut assez de se faire les dents sur ses os de cuirs. C’est mon père qui avait retrouvé son cadavre un peu plus tard, la tête tournée vers l’aube, les yeux vitreux et la langue arrachée.<br />
<br />
Mon père m’avait traîné tout au fond du jardin, disant que si j’aimais tant ces bouquins où tout le monde crevait à la fin, je n’avais qu’à lui creuser une tombe, moi. C’était mon chat, après tout. Avec l’air grave d’un croque-mort, il m’avait tendu une pelle rouillée. J’avais regardé ce qui restait de son ventre ouvert, les entrailles pâles, les pattes rigides, puis j’avais jeté la pelle. Je m’étais précipité derrière l’érable pour dégueuler mon déjeuner. Mon père avait rigolé, m’avait dit que les garçons qui passaient leur temps à lire ne seraient jamais bons à rien. Je m’étais essuyé la bouche. Il avait ramassé la pelle et avait commencé à creuser un trou en sifflant. <br />
<br />
<br />
Les prophètes n’ont pas leur place dans la bonne société. C’est pourquoi j’ai rangé toute ma vie dans un sac, que j’ai séché les cours du lundi et que je me tiens perché sur cette à muraille à renifler le soir, à l’affût d’une chute dans la pression atmosphérique, de l’odeur de la pluie, du parfum des feuilles mortes... N’importe quel signe qui me mettrait sur la piste de ma nouvelle vie. <br />
<br />
Le train sera en retard.<br />
<br />
Dans l’herbe, un couple est assis. L’homme souffle sur le café de la femme. La fumée glisse sous ses lèvres et lance des signaux de détresse au ciel. Un frisson m’enlace les os.<br />
<br />
Les nomades n’ont pas leur place dans la bonne société. C’est ce que m’avait dit mon père à ma première fugue. Il m’avait fauché au creux d’une ravine, à quelques kilomètres de la maison. Je m’étais endormi, un bouquin de Baudelaire sur les yeux pour me couper du monde. Il m’avait tiré dans la voiture par la manche. M’avait demander qu’est-ce qui me traînait dans la tête. <br />
<br />
Pas grand-chose, papa, quelques extraits de romans, trois ou quatre araignées, des poèmes d’amour avortés pour quelques filles, pas d’amis. Rien à laisser derrière moi, si ce n’est que le corps du chat qui doit se décomposer à l’heure qu’il est. <br />
Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme/Ce beau matin d’été si doux: Au détour d’un sentir une charogne infâme, sur un lit semé de... quelque chose, quelque chose, comment va la suite?<br />
<br />
Avant, ma vie me tenait en otage. Je rampais contre les murs de l’école à la maison, de la maison à la bibliothèque. Je passais mes nuits, la fenêtre de ma chambre bien scellée, à effeuiller quelques bouquins sous les couvertures, éclairé par la lumière de mon cellulaire parce que mon père ne voulait pas me voir lire si tard. J’étouffais.<br />
<br />
Perché sur ma muraille, je peux lire la face au grand air. J’observe la mine creusée de ceux qui, comme moi, on prit un aller simple vers le hasard. Se tenir devant la carte de la gare, fermer les yeux et poser le doigt sur sa prochaine destination. Je plonge ma main dans la poche de mon jeans, serre mon billet dans mon poing.<br />
<br />
La nuit s’étire comme un chat à l’horizon. Je sens le vent me ronger les os. <br />
<br />
J’ai le temps de finir mon roman.<br />
<br />
Le train sera en retard.<br />
<br />
*<br />
<br />
<b style="font-family: "Courier New",Courier,monospace;">I</b>l a passé la fontaine, y a jeté quelques sous, priant au ciel d’aveugler sa mémoire. Dans un soupir, il a poussé la porte du café de la gare.<br />
<br />
Il a commandé un thé noir pour noyer son sourire froissé, s’est assis tout au fond, près de la fenêtre. Alors que les nomades défilent, à la radio s’éternise une chanson qui lui rappelle son passé. Sunday is gloomy, my hours are slumberless. Dearest the shadows I live with are numberless. <br />
<br />
Il se dit qu’il est triste le jour où l’on se réveille et que toutes les chansons d’amour ont des relents funèbres.<br />
<br />
Plus jeune, il avait traversé mers et montagnes avant de finir ici. Il avait abandonné là-bas tous ses après-midi passés à pique-niquer dans le cimetière avec elle. L’herbe qui piquait leurs jambes nues et les fourmis qu’il fallait chasser avec les pieds entre deux coupes de vin.<br />
<br />
Il avait espéré que le vent du nord soufflerait ses derniers souvenirs, chasserait la douleur qui lui pinçait les nerfs au milieu de la nuit. Puis il avait échoué ici, perdant sa vie à jouer du piano pour meubler les heures mortes aux creux des bistros, assommant à coup de whisky les grands orchestres et les souliers de cuir bien cirés qu’elle avait rêvé pour lui.<br />
<br />
Il s’était juré de ne pas rester ici. <br />
<br />
Les trains vont et viennent, entraînent les gens à l’orée des précipices du monde alors que lui, épave rouillée, reste ici à boire son thé et à lire son horoscope dans des journaux recueillis aux coins des tables. Pour lui, l’horizon s’arrête là-bas, aux pieds de cette tombe où il a laissé flétrir deux roses jaunes. <br />
<br />
Le jour agonise.<br />
<br />
Perché sur le muret, il y a un garçon qui lit un roman, les cheveux en tempête, attendant sans doute le prochain train pour le nord. Il a le vent de son côté, la jeunesse porte son pas.<br />
<br />
Lui vit entre quatre murs, une fenêtre qui donne sur la lessive de sa voisine qui pend dans l’air froid. Il passe ses nuits enfermé chez lui à jouer des airs de Chopin à son ombre, rongé par l’ennui, dévoré par sa mémoire.<br />
<br />
Par la fenêtre du café, il peut voir un chat de gouttière se faufiler entre les rails. L’oreille dressée, il attend que le train arrive. Les passagers s’engloutiront dans le ventre chaud des wagons et lui restera ici à croupir.<br />
<br />
Nulle part, où aller. Les chemins de fer lui sont indigestes.<br />
<br />
Il avale ce qui reste de sa tasse et quitte le café. Il se fraye un chemin entre les nomades, descend du quai et enjambe les rails. L’oeil inquiet, le chat observe sa figure se fondre dans la ville.<br />
<br />
Il rentre chez lui avec le crépuscule, jouer une partie de roulette russe. Six balles dans le barillet, parce qu’il n’a jamais eu beaucoup de chance.<br />
<br />
<br />
*<br />
<br />
<br />
<b><span style="font-family: "Courier New",Courier,monospace;">I</span></b>ls ne me le pardonneront pas si facilement.<br />
<br />
Vous connaissez déjà l’histoire, mais la voici qui revient comme cette rengaine qui hante tous vos romans d’amour, qui gâche vos rêves et vous retourne dans vos insomnies.<br />
<br />
Il s’était réveillé en soupirant un nom qui n’était pas le mien. J’étais partie en claquant la porte, emportant au passage son manteau, ses cigarettes et son portefeuille.<br />
<br />
Rien à ajouter.<br />
<br />
La gare est trop calme. Je peux les entendre s’aiguiser la langue sur mes fautes et acérer leurs canines pour déchirer les muscles coriaces de mon coeur qu’il a oublié sur la cuisinière. Ils vont me griller, me damner sans vouloir entendre ma déposition. Je les vois assis dans la cuisine à laper un mauvais vin rouge, à déchiqueter le pain, à lécher les stigmates qui ont germé sur son corps à cause de mon départ. <br />
<br />
Ma seule faute, c’est d’avoir fréquenté un homme qui n’avait pas de voiture. <br />
<br />
La gare est glaciale. Je suis descendue sur le quai pour griller son paquet de cigarettes. Un matou se dandine sur les rails, renifle l’odeur des feuilles mortes qui croupissent dans les ornières. D’une chiquenaude, je lui jette mon mégot brûlant. Il ne m’accorde même pas un regard. <br />
<br />
<br />
Ils iront au salon prendre un digestif et disséquer ce qui reste de moi. Inventer des histoires. <br />
<br />
Trace d’after-shave flânant sur une blouse, un cliché véniel. <br />
<br />
Ce soir, la lumière rose du soleil couchant caressera ce qui reste de moi, de ce qu’ils auront épargné, traînant, éviscéré sur la table du salon. Ding dong, the witch is dead, qu’on se le tienne pour dit. <br />
<br />
Le train est en retard et les anonymes s’ébrouent, frappent leurs pieds sur le quai, claquent leurs mâchoires, étirent leurs échines cassées par le poids des valises. Un homme passe devant moi, me bouscule presque, engouffre le vent d’octobre dans son manteau gris et traverse les rails. Le matou le surveille sans broncher.<br />
<br />
Moi je reste là, sans valises, dans un manteau trop grand, prête à filer à l’anglaise dans le premier train pour le nord, le temps d’oublier ton nom. Je m’enrôlerai dans les Légions étrangères, cultiverai des salades, traverserai le pays dans une voiture volée, qu’est-ce que j’en sais?<br />
<br />
Je quitte la ville avec le denier jour d’octobre pendant qu’ils resteront là à roupiller, balonés par trop d’histoires vaporeuses. Ce qui reste de moi, ils le jetteront aux chiens errants de la ville. Je tromperai le vent pour qu’ils ne flairent pas mon odeur. <br />
*<br />
<br />
<b><span style="font-family: "Courier New",Courier,monospace;">J</span></b>adis, au lieu de la gare qui se tient ici se trouvait un sanctuaire honorant les pauvres âmes qui avaient péri pendant la construction du chemin de fer. Victimes de la modernité, ils n’y avaient maintenant plus que les croix de St-André pour se souvenir de leur passage dans le nord. <br />
<br />
Ces âmes taraudées par les engelures reposent à présent sous le quai, piétinées sans répit par les bottes des anonymes. <br />
<br />
C’est au beau milieu de cette faune qu’avait grandi le chat. Né avec le coeur incertain d’un oisillon et la robe funèbre d’un corbeau, on l’avait abandonné contre le sein glacé du quai, espérant que les âmes y verraient une offrande, une prière pour apaiser les frimas de novembre. <br />
<br />
Pourtant, le chat avait survécu à treize hivers. Les habitués de la gare racontaient entre deux trains qu’un vagabond l’avait recueilli, une nuit de décembre, pour lui recoudre le coeur. À présent, la bête veillait sur la gare comme un cerbère, guettant les anonymes qui martelaient son quai. <br />
<br />
Le chat avait vu une dizaine de suicides, une centaine de coeurs rompus et des milliers de visages malingres, corrodés par la fatigue. Toute sa vie, on lui avait donné des coups de botte dans les fesses, des caresses attendries sur la tête et des restes de sandwichs rassis. Ses vieux os s’étaient armés de la raideur des rails qu’il hantait au coucher du soleil.<br />
<br />
Ce soir, le chat peut sentir l’hiver poindre derrière les ultimes flambées d’octobre. Il patrouille le chemin de fer, défie les nomades du regard, évite le mégot encore brûlant qu’on lui jette à la tête. Dans l’herbe, loin du quai, un couple se réchauffe les mains autour d’un gobelet de café. Sur le muret, un garçon pose son livre sur ses genoux, laisse la pénombre avaler ce qui reste des mots.<br />
<br />
Jadis, les marins anglais emportaient des chats sur leurs navires pour guider leur chance. Mais les chats de gare n’annoncent que le retard des trains qui semblent s’éterniser ailleurs, minant la patience famélique des anonymes. <br />
<br />
Le chat se penche pour boire l’eau qui croupit entre les rails. Dans un claquement de semelles, un homme transgresse le chemin de fer. Sa silhouette se dissout aussitôt dans l’horizon. Le chat peut voir le crépuscule s’emparer de son âme. Il secoue la tête pour chasser le vent qui traverse sa fourrure à contre-poil. Le sol tremble, mais son coeur bat encore, paisible aux creux de sa poitrine.<br />
<br />
Au coucher du soleil, octobre s’inclinera pour laisser novembre arriver en gare.<br />
<br />
Transi, le chat se roule en boule sous un banc solitaire au-dessus duquel, sur le mur gris, un anonyme, sans doute lassé par l’attente, avait décidé de s’exercer à cette poésie qu’inspirent le froid et les bottes humides:<br />
<br />
<br />
Voyageur, <br />
Incline la tête, <br />
réprime tes plaintes <br />
et ravale tes frissons;<br />
Juillet qui t’a vu naître<br />
s’est perdu au détour d’une gare.Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-58029710241874757792011-10-20T19:36:00.000-07:002011-10-21T06:35:05.650-07:00Fissures-2<i>Wait a while all I need is a friend<br />
Come on stay a while won't you please understand<br />
- Mad Caddies</i><br />
<br />
Ici, nous sommes enfin seuls. <br />
<a name='more'></a>Perché sur la muraille comme une corneille, je n’ai qu’un chandail de laine encore humide de la brume de ce matin pour chasser le froid de l’automne. Je fais sécher mes souliers contre quelques ultimes rayons déliquescents se fondant dans le crépuscule. À ma droite, un chat noir fait sa toilette sur les rails du chemin de fer, prêt à échanger une vie contre un moment d’insouciance. Notre chat n’a pas eu la même chance. Il est mort un dimanche très tôt le matin, alors que le chien du voisin en eut assez de se faire les dents sur ses os de cuirs. C’est mon père qui l’a retrouvé un peu plus tard, son cadavre tourné vers le soleil levant, les yeux vitreux et la langue arrachée.<br />
<br />
Il m’avait traîné tout au fond du jardin, il n’était pas encore neuf heures. Grognant que si j’aimais tant ces bouquins où tout le monde crevait à la fin, je n’avais qu’à lui creuser une tombe, moi. C’était mon chat, après tout. J’avais regardé sa fourrure grise, tâchée par les feuilles mortes- était-ce du sang? Les dimanches matins ont cette manie de vous embrouiller l’esprit-gisant dans l’herbe humide. Mon père, l’air grave d’un croque-mort, m’avait tendu une pelle. J’avais regardé Otto-mon chat-le ventre ouvert, les entrailles fumantes, les pattes rigides, puis j’avais jeté la pelle. Je m’étais précipité derrière l’érable pour dégueuler mon déjeuner. Mon père avait ricané, m’avait dit que les garçons qui passaient leur temps à lire ne seraient jamais bons à rien. Je m’étais essuyé la bouche. Il avait ramassé la pelle et avait commencé à creuser un trou en sifflant. <br />
<br />
Les prophètes n’ont pas leur place dans la bonne société. C’est pourquoi j’ai rangé toute ma vie dans mon sac, que j’ai séché les cours du lundi et que je me tiens perché sur cette à muraille à renifler l’air du soir, à l’affût d’une chute dans la pression atmosphérique, de l’odeur de la pluie, du parfum des feuilles mortes, n’importe quel signe qui me mettrait sur la piste de ma nouvelle vie. <br />
<br />
Le bus sera en retard.<br />
<br />
J’observe le couple assis dans l’herbe. L’homme, les cheveux noirs dissimulés par une casquette en tweed, souffle sur le café de la femme. La fumée de sa cigarette lance des signaux de détresse au ciel. Pelotonné dans mon tricot humide, je frissonne.<br />
<br />
Ici, nous sommes enfin personne. Qu’une bande d’anonymes en rang pour le jugement dernier. Perché sur mon mur, je peux guetter l’arriver du bus, jument apocalyptique qui nous amènera vers le lieu prochain de notre repos. Nous quitterons cette ville sous les regards indifférents de ceux qui y ont fait leur nid.<br />
<br />
Les nomades n’ont pas leur place dans la bonne société. C’est ce que m’avait dit mon père à ma première fugue. Il m’avait fauché alors que je dormais au creux d’une ravine, à quelques kilomètres de la maison. Je m’étais endormi, un roman de Flaubert sur les yeux pour me couper du monde. Il m’avait tiré dans la voiture par la manche. M’avait demander qu’est-ce qui me traînait dans la tête. <br />
<br />
Pas grand chose, papa, quelques incipits de romans, trois ou quatre araignées, des poèmes d’amour avortés pour quelques filles, pas d’amis. Rien à laisser derrière moi, si ce n’est que le cadavre d’Otto qui doit être occupé à se décomposer à l’heure qu’il est. <i>Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme/Ce beau matin d’été si doux: Au détour d’un sentier une charogne infâme, sur un lit semé de</i>... quelque chose, quelque chose, comment va la suite?<br />
<br />
Avant, ma vie me tenait en otage. Je rampais contre les murs de l’école à la maison à la bibliothèque sans jamais voir le ciel. Je passais mes nuits, la fenêtre de ma chambre bien fermée, à effeuiller quelque bouquin sous les couvertures à la lumière de mon cellulaire parce que mon père ne voulait pas me voir lire si tard. J’étouffais.<br />
<br />
Sur ma muraille, je peux lire la face au grand air, observant la société de la gare déambuler à mes pieds. Je peux voir la mine creusée de ceux qui, comme moi, on prit un aller simple au hasard. Se tenant devant la carte de la gare, ils ont fermé les yeux et posé le doigt sur leur prochaine destination. Je plonge ma main dans la poche de mon jeans, serre mon billet dans mon poing.<br />
<br />
Au loin, un train siffle. Sur les rails, le chat noir dresse les oreilles. <br />
<br />
Le crépuscule étire ses couleurs automnales dans le ciel. Je sens le vent me ronger les os. Le bus sera en retard. J’ai le temps de finir mon roman.Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0Sherbrooke, QC, Canada45.4004791 -71.883735545.3587981 -71.948354 45.442160099999995 -71.819117tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-53863679636417204592011-10-06T17:21:00.000-07:002011-10-12T16:42:57.939-07:00Fissures-1<i> </i>Aller, un peu d'ambiance, quoi: http://www.youtube.com/watch?v=VQVfKS7ukiE<br />
<br />
<a name='more'></a><br />
<br />
<i>I see people turn their heads and quickly look away<br />
Like a new born baby it just happens ev'ry day<br />
- The Rolling Stones</i><br />
<br />
Nous voici. Moi et Salem, assis dans l’herbe à attendre le bus à l’ombre des avions qui traversent le ciel. Salem a glissé son blouson de cuir sous ses fesses et nous faisons une partie d’échec pour tuer le temps. Dans quelques heures, nous quitterons cette ville pour de bon. D’entre ses dents jaunies et de sa cigarette, Salem siffle <i>Cat’s in the cradle</i>. <br />
<br />
Il avait arrêté de fumer à ta naissance, tu sais. <br />
<br />
Toi et moi prenant froid au parc. Tu ne voulais pas jouer avec les autres enfants. Ceux qui te lançaient sans cesse des noms. Nous nous étions couchés dans l’herbe humide pour compter les avions. Tu savais à peine compter jusqu’à dix. La peau écorchée de tes genoux était verdie par l’herbe. Ton regard noir d’enfant-loup qui scrutait le ciel était celui de ton père. <br />
<br />
J’avance mon fou sur l’échiquier. Salem mâche sa cigarette. Il avait arrêté pour te laisser naître en respirant pour de bon. Ton père ne craint plus les cancers. Nos coeurs ne sont plus que cancer sous une peau rapiécée, de toute façon. Son silence blotti dans les mailles de son foulard, il réfléchit. Un train gronde. <br />
<br />
Le ciel se couche tranquillement sur ce jour d’octobre. Je frissonne dans mon chandail. Face au crépuscule, loin du regard des idiots, je peux oublier quelques instants les chiens décharnés et les rapaces qui hantent les vers de Salem. Il se lève et marmonne qu’il va chercher du café à la gare.<br />
<br />
C’était un matin d’octobre que tu t’étais cassé la dent contre le banc du parc. Il avait plu la vieille et le bois était encore humide. Tes souliers avaient glissé. Il y avait du sang partout. Tu pleurais. Pour te consoler, nous avions fait l’école buissonnière, puis nous étions allés acheter une citrouille à l’épicerie. Avec le gros feutre noir, je lui avais dessiné la plus vulgaire des grimace, histoire de faire peurs aux gamins du quartier que tu détestais tant. <br />
<br />
Le soir d’Halloween, nous avions ricané des pleurs des petits enfants et des protestations de leurs soccer moms alors que Salem, occupé à esquisser ses squelettes, roulait les yeux, un sourire félin au coin des yeux.<br />
<br />
Salem souffle sur mon café, marmonne que je n’aurai pas de problème à me trouver du boulot dans une autre université. Je baisse les yeux sur mon roman, évitant son regard comme on évite les barils d’un fusil de chasse. Il ajuste son foulard et joue sa reine.<br />
<br />
À ton enterrement, j’avais mis ma robe orange, ta préférée, avec mes talons rouges. J’avais la dégaine d’une lune d’automne, histoire de me faire détester des vautours banlieusards qui auraient voulu me voir tout en noir, tel l’excipit d’un roman russe. <br />
<br />
Tu avais demandé à Salem pourquoi on ne pouvait pas adopter de chat. Ton père avait caressé tes cheveux, t’avait appelé son petit loup-garou, t’avais raconter comment les chats, la nuit venue, rampaient dans le lit des enfants endormis pour dérober leur souffle. Tu avais fait des cauchemars pendants trois semaines. <br />
<br />
J’ai capturé la reine de Salem. Il me dégaine un sourire de tigre indien, l'avale en une gorgée de café équatorial, puis détourne les yeux vers le crépuscule.<br />
<br />
Je voudrais qu’il me sourît encore, histoire de faire un doigt d’honneur aux herbivores, aux ruminants que nous avons laissés derrière nous. <br />
<br />
Nous regardons un chat noir se faufiler entre les railles du chemin fer, son corps ondulant sous les rayons du soleil agonisant. J’entends un train siffler. Je serre les mains contre mon gobelet. <br />
<br />
Salem a mis du lait d’amandes dans mon café, comme il le faisait tous les matins, lorsque nous étions jeunes. <br />
<br />
«Tu crois que nous serons heureux, là-bas?» Ma voix perce le silence. Salem baisse les yeux sur son café. De son sérieux de gitan, il agite le marc au fond de son gobelet, s’arrête et observe. Puis, il lève les yeux. Son regard noir filtre le ciel. De la poche de son blouson, il tire un flacon argenté et remet du bourbon dans son café.Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-7111914257621171632011-09-08T16:22:00.000-07:002011-09-08T16:29:11.753-07:00Make it rain (esquisse)<i>The world is not my home<br />
I'm just a passin thru</i><br />
- Tom Waits<br />
<br />
Lorsque j’étais petite, on m’avait appris comment monter un herbier.<br />
<a name='more'></a>Le processus était relativement simple : il suffisait de glisser feuilles et fleurs entre les pages jaunies d’un gros volume, laissant ainsi au temps le loisir de capturer à jamais les couleurs d’une saison aussitôt oubliée.<br />
<br />
C’était à cela que j’avais pensé, lorsqu’une vieille facture flétrie, signée comme ta main seule savait le faire, avait glissé d’entre les pages du livre que j’avais volé avant de quitter la maison. Tel un épisode proustien, cette scène, témoin des étés de notre enfance, refleurissait dans un soupir.<br />
<br />
Je revoyais notre père, qui, penché sur la table de la cuisine, le regard éclairé par un crépuscule septembral, nous expliquait comment faire sécher une marguerite entre deux bouquins, pour qu’à jamais elle puisse être conservée, comme un roman inachevé. Le vieil herbier sentait la nature morte.<br />
<br />
Coincée entre mon sac et la tiédeur des anonymes, je déclarais la saison des fleurs achevée. Par la fenêtre du terminus, on pouvait voir octobre et ses chiens décharnés balayer ce qui restait de feuilles mortes. <br />
<br />
En attendant l’autobus, j’avais reçu un texto de ma mère qui me priait de revenir à la maison, comme si c’était encore possible. Qu’on te bénisse, chère mère, mais trop de fois m’étais-je cassé les dents sur les pavés de la banlieue pour y rester une seconde de plus.<br />
<br />
Je n’étais plus qu’une survivante. Une nomade vivant avec quelques livres et des vêtements fourrés dans un sac trop petit pour me contenir, l’âme en patchwork et les mains réchauffées par un café acide. <br />
<br />
Mon train était en retard. Je gardais les yeux fixés sur la grosse horloge du terminus qui guettaient les passagers entre les brumes des heures mortes. Au fond de la salle, une vieille dame distribuait des pamphlets religieux, suppliant qui voulait bien lui prêter une oreille de ne pas fêter Halloween, de ne pas succomber au pouvoir séducteur du diable et de la mort.<br />
<br />
J’avais croisé mes doigts contre ma tasse de styromousse, baissant les yeux dans une prière silencieuse: «Comment vas-tu, ma mort, aurais-tu oublié mon visage? Je suis celle que tu as abandonnée vivante, avec un clou au fond du coeur.»<br />
<br />
On m’avait reléguée à la vie et sacrifiée au temps qui passe. Les gens ont des noms pour ceux qui portent l’abîme au fond du regard. Ces mêmes gens qui me guettaient à travers les fenêtres sales de ma maison de banlieue. Qui baissaient la voix en passant devant notre porte, comme on passe à pas feutrés devant un salon funéraire.<br />
<br />
Arrachée au monde qui dort les pieds bien enracinés, il ne me restait plus qu’à attendre mon train, les bottes humides et un livre volé à la main. J'ai laissé la facture glisser sur le sol, balayée par le souffle tiède des portes automatiques.Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com1Sherbrooke, QC, Canada45.4004791 -71.883735545.3587981 -71.948354 45.442160099999995 -71.819117tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-46953250657049164422011-08-17T13:24:00.001-07:002011-08-17T13:32:32.858-07:00Le jardin (esquisse)Pieds nus dans l’herbe folle, j’attends l’apocalypse.<br />
<a name='more'></a>J’ai planté mes orteils dans la terre encore fraîche. L’été blondit le ciel comme le soleil tes cheveux, il y a très longtemps. J’étais descendue au jardin pour cueillir la mélisse jaunie par la canicule, mais un roulement sinistre m’a retenue. Petite, on m’avait appris à anticiper le tumulte, le souffle suspendu entre chaque seconde séparant le grondement du ciel des éclairs violets. Pour l’instant, le calme est plat et je ne crains que les loups-garous qui rôdent près de la grille du jardin. <br />
<br />
À la tombée de la nuit, le cadenas rongé par la rouille ne pourra retenir ces lycanthropes qui reniflent la mort sur mes mains. Je ne dors que le jour. Et alors que je sommeille au soleil, les succubes me soufflent d’étranges élégies à l’oreille, désireuses de se nourrir de mes larmes. Elles m’ont dévorée. Je ne suis plus que peau cancéreuse sur squelette érodé. Même mes mots n’arrivent plus à s’immiscer entre les hémistiches des chansons funéraires que fredonne mon voisinage cannibale.<br />
<br />
Mais viennent les chiens-loups enragés aux gosiers emboliques et les vampires en robe d’été. J’ai du sang de sorcières dans mes veines et encore une ou deux vies de chat à gaspiller. Hier, je suis allée au bord de l’océan voir les gitans et ils ont rapiécé mon coeur à l’aide d’un long fil d’argent. Il bat maintenant au rythme persistant de l’écume de la mer.<br />
<br />
J’ai accroché de l’ail séché à mes fenêtres et j’ai fait pousser de la sauge dans les racoins de mon jardin. Que cède la grille, je survivrai aux rapaces qui guettent mon désespoir. J’ai un chapelet de mensonges dans ma poche et un fusil de chasse caché entre les pissenlits. Je ne suis plus la fillette qui plantait ses salades pieds nus dans la brume crépusculaire. La camarde m’a mordu les chevilles et son venin perfide coule dans mes veines bleues. C’est la mort elle-même qui m’a donné naissance un jour de juillet. C’est l’abîme qui s’est penché sur mon berceau et qui a noirci mes yeux bleus de nourrisson.<br />
<br />
Mais mes pieds ne prendront pas racine dans la terre qui veut m’avaler. Viennent le cyclone et les revenants de ma mélancolie, je n’aurai pas à attendre le passeur pour atteindre l’autre rive, celle où poussent encore les escargots et les radis. Hier, en raccommodant mon coeur, les gitans ont cousu des palmes entre la peau de mes orteils. Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-88874529501318492862011-08-16T19:07:00.000-07:002011-08-17T06:05:40.969-07:00Saisons (esquisse)Poésie<i> </i><br />
<br />
<i><a name='more'></a>Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot</i><br />
<i>- A.R.</i><br />
<br />
J’ai passé l’été à relire <i>Une saison en enfer</i><br />
Les pieds trempés dans le crépuscule<br />
d’un septembre agonisant<br />
<br />
J’ai égaré ma prose au tournant d’un été<br />
passé l’âme sur la corde à linge<br />
Comme un épouvantail sur la pelouse verte <br />
<br />
Le soleil se mire dans les toiles d’araignées<br />
pendues aux lucarnes de ma maison<br />
Et les vitres sales sont des linceuls<br />
d’où l’on voit les vivants soupirer<br />
<br />
Le thé chaud et les parties d’échec,<br />
nos rires blottis dans des foulards;<br />
Tant d'antidotes promis aux pluies septembrales<br />
<br />
Je redoute l’automne comme un incendie<br />
Rien à ajouter<br />
<br />
Je ne lis pas pour passer le temps<br />
Mais pour abattre les mornes soliloques des veilleurs<br />
Guettant l’hiver comme un cancer<br />
dans nos os mortels<br />
<br />
Bientôt Noël et le chant des anges<br />
Qui s’estompe dans les yeux voilés<br />
De ceux qui ont un jour eu le coeur brisé<br />
<br />
Je veux passer l’hiver allongée dans la neige<br />
Engourdir mes dernières pensées<br />
Regarder les étoiles comme autant de crépuscules<br />
Dans un ciel muet<br />
<br />
Et les vieux os boiront Noël au goulot d’une séculaire bouteille de vin<br />
Attendant la mort<br />
Comme d’autre le journal, un lundi matin<br />
<br />
Le printemps est un idiot qui revient toujours sur lui-même<br />
La beauté amère de Rimbaud<br />
Nous mettrons feu aux bourgeons de cette saison insensée<br />
Trop encensée par les poètes<br />
D’un temps où les saisons se levaient<br />
Comme les dieux que nous avons abattus<br />
Pour alimenter le feu dans l’âtre<br />
<br />
L'hiver, il faut bien se garder au chaud.<br />
<br />
Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com2Quebec, Canada52.9399159 -73.549136144.135168900000004 -84.8861301 61.7446629 -62.212142099999994tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-14351115664324205902011-08-12T21:21:00.000-07:002011-08-12T21:21:30.079-07:00Toska “<em>No single word in English renders all the shades of toska. At its deepest and most painful, it is a sensation of great spiritual anguish, often without any specific cause. At less morbid levels it is a dull ache of the soul, a longing with nothing to long for, a sick pining, a vague restlessness, mental throes, yearning. In particular cases it may be the desire for somebody of something specific, nostalgia, love-sickness. At the lowest level it grades into ennui, boredom.</em>”<br />
<br />
- V. Nabokov Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-71857672696649112752011-08-12T09:33:00.000-07:002011-08-15T08:45:46.888-07:00RasoirPoésie<br />
<br />
<a name='more'></a>Assise sur le porche,<br />
j’ai le rasoir d’Ockham à fleur de peau <br />
Mon nom est Hannah<br />
Sans paraphraser Melville<br />
<br />
Voyez-moi; <br />
À me noyer dans la mer morte<br />
qu’on m’a donné à boire comme l’impossible<br />
Et les cris des sirènes échouées sur le béton<br />
Se heurtent au silence si durement gagné<br />
Ma mâcheoire fracturée est mon oliphant,<br />
mon regard a la clarté du ciel filtré par les yeux du condamné<br />
<br />
Voyez-moi;<br />
Assise sur le porche<br />
Mes doigts caressent le bois qu’il faudra prendre pour me crucifier<br />
Un bois qui ne vaut pas les clous rouillés pour me crucifier<br />
Comment apprendre à aimer ce qui demeure<br />
Sans le suspendre au soleil pour lui gercer les os<br />
<br />
Voyez-moi;<br />
Assise sur le porche<br />
Vous regardez le bois que carressent mes doigts<br />
Pour mieux fuir mon regard visqueux<br />
C’est moi qui porte mon nom comme une ombre<br />
<br />
Voyez-moi;<br />
Viendra le moment où mes yeux rencontreront les vôtres<br />
Comme le fond du baril d’un pistolet russe<br />
Six balles comme deux impasses <br />
Mon nom est Octobre<br />
Sans paraphraser Baudelaire<br />
Mes os blanchis au soleil<br />
Comme héritage de nos automnes<br />
Qui succèdent aux mornes étés<br />
Ceux que vous avez désossés à l’aide du couteau de pêche de mon père<br />
<br />
Voyez-moi;<br />
Je suis descendue au jardin<br />
Comme la mauvaise herbe qui fleurit<br />
Où vous avez enterrés les chats morts de vos amours<br />
C’est le fusil de chasse de mon père qui s’y repose<br />
Succubes de nos banlieues,<br />
mes larmes sont l’antidote à la cigue qui vous brûles les veines<br />
<br />
Voyez-moi;<br />
Mon regard creux comme le canon d’un fusil de chasse<br />
Que vous dévisagerez<br />
L’âme fuyante comme les crapauds<br />
Des étangs où vous avez laisser croupir l’été<br />
<br />
Voyez-moi;<br />
Oui monsieur,<br />
Mon nom est personne<br />
Sans paraphraser personneCarolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com2Quebec, Canada52.9399159 -73.549136144.135168900000004 -84.8861301 61.7446629 -62.212142099999994tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-74658984303585179702011-08-04T10:37:00.000-07:002011-08-04T10:39:05.877-07:00Fragment<i>"I hated everyone" said the sun</i><br />
- J.J<br />
<br />
Ce matin, je me suis réveillé de bonne heure, l’âme encore toute tordue et le regard rouillé. Lorsqu’on se réveille sans avoir vraiment dormis, le silence bourdonne toujours un peu plus fort. On pouvait même entendre la Vieille Fille ronfler sous le soleil jaune. Je suis descendu à la cuisine mettre l’eau à bouillir. <br />
<br />
<a name='more'></a>Comme tous les matins, j’ai cherché le thé. Troisième armoire à gauche du réfrigérateur. L’humidité remplissait l’espace vide entre les boîtes de métal. La bouilloire a sifflé, la fumé s’est dissous dans la lumière matinale. <br />
<br />
Si tu me voyais ce matin, papa, j’ignore ce que tu te dirais. Mais sûrement ferais-tu comme tu l’as toujours fait avant de lire une lettre. Tu irais toi aussi à la cuisine et pendant que les ombres des pins danseraient sur ton front, tu ferais chauffer du café. Tu lirais avec le poids des années sur les épaules, comme un spectre dans tes lunettes. Si tu n’y vois rien, ne t’en fais pas, tu connais déjà l’histoire, sans doute.<br />
<br />
C’est le matin, un de ceux qui brille, qui nous donne envie d’aller déjeuner les pieds dans l’herbe. Il n’y a beaucoup d’herbe ici, tu sais, c’est un détail qu’il faut prendre de soin de noter; l’imagination est un petit lézard informe. Le sol est rocailleux, tiède sous mes sandales. La chaleur est confortable, mais c’est parce que c’est encore le matin. <br />
<br />
Laure s’est improvisé une table à même un petit monticule rocheux. Une tasse de thé fume sur le sable orange. Elle potasse un livre, indifférente au soleil, le regard couvert par une vieille casquette de baseball. Elle porte une jupe et ses genoux rougis pointent au soleil. <br />
<br />
- Bonjour.<br />
- Bonjour...<br />
<br />
Nous avons échangé un regard. Elle a bu son Earl Grey, j’ai bu mon Ginseng. Les naufragés n’ont jamais beaucoup de choses à se dire. Voilà six jours que nous sommes coincés ici. Panne mécanique. Nos âmes en pâture à nos idées noires. Nous avons de l’eau, mais pas de nourriture. Pour oublier la faim, nous buvons du thé jusqu’à ce que les ulcères nous rongent l’estomac et que la douleur nous empêche de dormir. Pour manger, nous grillons des lézards.<br />
<br />
Ce matin, je me demande à quoi tu penserais si je mourais. Je suis las du soleil; je peux déjà m’imaginer coucher sous une épitaphe humide où pousse la mousse verte. Mais nous ne mourrons pas ici. <br />
<br />
Lucien se repose sous l’aile de la Vieille Fille. Toute la nuit, il a trimé dans ses entrailles pour lui permettre de voler à nouveau. Pendant la journée, il fait trop chaud.<br />
<br />
Il ne reste plus qu’à regarder le temps ramper dans le sable. Son venin insidieux coule dans nos veines depuis le premier jour. Charlie vient nous rejoindre avec un jeu d’échec magnétique et un pot de darjeeling, de quoi faire fondre nos estomacs. <br />
<br />
- Jouons, dit-il.<br />
<br />
Laure ferme son livre et me regarde. C’est moi qui commence. Charlie prend les blancs, je prends les noirs. <br />
<br />
Si tu savais combien de soirées nos avons passé à jouer aux échecs, tous les trois. Mes meilleurs souvenirs fument dans une tasse de thé, posée entre quelques pions de plastique. Aujourd’hui, nous jouons seulement pour oublier le soleil. Charlie ouvre le jeu, puis s’allume une cigarette. Laure nous regarde sans parler. J’avance mon cavalier. Je me demande s’il faudrait aller réveiller les enfants qui dorment encore dans le ventre de la Fille. ll est encore tôt, la chaleur n’a pas encore monté dans l’appareil. <br />
<br />
Hier, Perceval à trouver un petit oeuf bleu au pied d’un arbre flétri. Pour s’amuser, il l’a fait cuire sur un rocher. C’était plutôt drôle à regarder. J’aime mon enfant, mais parfois je le déteste parce qu’il a ta manière de sourire. Cette façon d’étirer les lèvres en laissant paraître deux ou trois dents. C’est un héritage plutôt laid à porter, mais sa mère, elle aussi, elle souriait mal. <br />
<br />
Les jeunes supportent mieux la chaleur que nous. Ils passent tous deux la journée sous le soleil s’en trop s’en faire pour leur peau qui rougit ou leurs lèvres lézardées.<br />
<br />
- Échec dans trois tours, m’annonce Charlie en tirant sur sa cigarette.<br />
<br />
L’odeur du tabac est âcre dans l’air sec. Elle me rappelle l’époque où maman, fumant sa cigarette, me racontait tout ce que le temps guérissait. Il est toujours triste le jour où on comprend que nos parents nous ont toujours menti, mais que peut-on dire à des enfants ?<br />
<br />
Petits, nous croyions que le ciel s’étendait jusqu’à la mer, comme le font les rivières. Nous imaginions les poissons géants qui s’y baignaient, à l’ombre de nuages. Nous pouvions passer des heures à guetter l’ombre des avions, l’âme perdue dans un vertige horizontal. Les racines des arbres fendaient le sol pour mieux pousser vers le haut; l’espace bleuâtre où dort la tête des pins était suffisant pour nous faire sentir le fameux spleen de ceux qui marchent sur terre comme des albatros blessés. Les jours de grands vents, nous montions sur la colline, essayant de nous faire emporter comme de vieux sac de plastique. Nous pensions nous envoler jusqu’à la stratosphère pour faire exploser nos poumons.<br />
<br />
Ce matin, je regarde le ciel et j’ai mal au coeur. Ce ciel qui crève les yeux, ses nuages comme un fantasme d’adolescent pendant que la Vieille Fille expire au soleil.<br />
<br />
Laure et Charlie sont allés discuter sous l’aile de l’appareil. J’aimerais pouvoir voir le ciel comme eux; quelque chose qui n’a jamais respiré. Une simple autoroute où les ennuis voyagent en V comme des oies sauvages pour mieux percer le vent. Mais pour les enfants que les parents ont mis en pots à la naissance pour éviter que nos racines n’embrassent la terre fraîche, le ciel demeure synonyme d’une certaine liberté- surtout pour ceux qui, comme moi, sont nés en tombant par terre. <br />
<br />
Lorsque la Vieille Fille vole et que nous nous retrouvons coincés dans ses entrailles, la pression de l’atmosphère devient parfois insoutenable. Il faut apprendre à faire la paix entre nous, ignorer cette proximité étouffante qui a dû rendre plus d’un marin insomniaque.<br />
<br />
[...]Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com1Quebec, Canada52.9399159 -73.549136144.135168900000004 -84.8861301 61.7446629 -62.212142099999994tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-11062734790396857242011-08-04T10:32:00.000-07:002011-08-04T10:32:15.244-07:00En dormantPoésie <br />
<br />
<br />
<a name='more'></a>Parfois lorsque je dors, c’est le monde qui se déchire dans un souffle. Ce sont les continents qui s’effritent sans faire de bruit. Sûrement pas les océans, pour rêver, il me faut des sols durs.<br />
<br />
Puis, apparaissent les couleurs; la peinture, des chefs d’oeuvres mort-nés sous mes paupières, se frottant au rythme des heures mortes (ce sont celles qui viennent juste avant l’aurore rose).<br />
<br />
Leurs présences flottent dans mes songes, ils se reposent, craignant le matin comme des étoiles aveugles. Puis, on gratte à la porte; c’est mon âme qui se réveille en sursaut.Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-71095190185646244312011-08-03T17:40:00.000-07:002011-08-03T17:40:27.391-07:00Toujours valideIl n'y a pas de loi obligeant tous les romanciers à écrire comme Henry Miller ou Jean Genet.<br />
<br />
- H. Murakami<br />
Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8163467204294731280.post-66745271556155292192011-08-02T07:36:00.000-07:002011-08-02T07:36:03.063-07:00Manouche<i>I'll tell you all my secrets, but I lie about my past</i><br />
- Tom Waits<br />
<br />
Je l’ai revue un matin, agonisante, son corps reposant entre les feuilles mortes et le chiendent. <a name='more'></a>Son corps était tordu comme les os des vieux immortels. Son cadavre avait été négligemment jeté au milieu d’un parc, à la merci de la pluie et des voleurs de ferraille. Ce n’était même pas un beau parc, un minable coin de verdure jaunâtre coincé entre un dépanneur thaïlandais et une librairie porno. Le cœur un peu serré, je l’ai délicatement soulevée, elle ne pouvait même plus tenir toute seule. Sa peinture était tout écaillée. Le crissement de sa chaîne n’était qu’un long cri d’agonie. On aurait dit qu’elle me fixait, réclamant, telle une femme battue, ce qui me restait de clémence, depuis longtemps enfouie sous mes souvenirs jaunis et la cendre de mes cigarettes. <br />
<br />
Je l’ai rencontré il y a très longtemps. Un petit coup du destin des plus anonymes, comme une jolie fille ignorée ou un enfant avorté dans les égouts d’une ville. J’imagine qu’il y avait un peu de soleil ce jour-là, car malgré son âge, à la lumière du jour, elle ressemblait à une jolie vierge effarouchée, offrant son siège de cuir au premier garçon de passage. Elle était rouge et toute scintillante. Une vieille Schwinn, le vendeur m’avait raconté qu’elle avait au moins trente ans. Il l’avait trouvé derrière un restaurant chinois, à raconter des histoires d’alpes françaises aux gros rats gris. Il était un peu candide et elle lui avait tout de suite plu. Il l’avait ramenée chez lui et l’avait tout retapé. Entre temps, il en avait trouvé une autre et il vendait celle-ci pour quelques sous. « C’est une antiquité. Elle vaut peut-être un paquet » m’avait-il avoué « mais je te la laisse pour trente dollars. » C’est ainsi que je ramenai mon premier amour chez moi. <br />
<br />
À l’époque, j’habitais en haut de la septième, dans un vieil appartement que je partageais avec trois arsouilles. Ils se moquèrent tous d’elle. Deux d’entre eux roulaient déjà en moto, moi, je n’avais encore les couilles d’en volé une. Ils la baptisèrent Manouche. Je lui fis un coin dans ma chambre. Pour s’amuser, mes colocataires avaient gravé Just get me to New Orleans and paint shadows on the pews à l’aide d’une vieille clef, sur son flanc. Comme par défi, jamais je ne tentai de recouvrir ces mots.<br />
<br />
Manouche avait la fâcheuse habitude de dérailler lorsqu’elle traversait la rue. Maintes fois, nous avions failli nous retrouver écrasés sous les roues d’un taxi trop pressé. Néanmoins, elle m’était fidèle. À cheval sur sa selle, je volais aux devantures des magasins et m’enfuyais, plus rapide que le vent du nord. Ni chiens, ni vendeurs n’étaient assez rapides. Nous nous échappions toujours, riant bien fort, des pommes s’envolant du panier pour aller s’écraser sur le trottoir. <br />
<br />
J’étais un enfant à l’époque, encore un peu convaincu que le monde pouvait être bien. Les filles? J’avais essayé. Elles me faisaient encore peur. Manouche était mieux que tout le reste. Les soirs où la ville semblait tranquille, moi et Vladimir enfourchions nos vélos pour aller fumer, bien au chaud, sur les bancs d’une église vide. Sous le regard moribond de Jésus, nous nous racontions tout ce que les garçons peuvent se raconter. Les filles, l’argent, les rêves, la musique et la ville. Violant le silence sacré de nos jurons, nous prenions le pouls d’une citée qui tardait à vieillir. Nous savions que nous étions ses pionniers. Pour nous, la ville était un jeu de Lego, un grand terrain vierge se donnant à nous, chevaliers des temps modernes, gamins ignorés du monde. <br />
<br />
Le cœur de Manouche était celui de la ville. Ses pneus avaient été usés jusqu’à la fesse sur ses pavés. En la chevauchant, j’avais l’impression qu’elle pouvait me guider à travers ce réseau d’artères en hémorragie permanente. Il ne fallut pas beaucoup de temps avant qu’elle ne devienne célèbre dans tout le quartier. De tous les coins de rue, on criait : « He! Manouche! ». En guise de réponde, je faisais crisser ses freins, ça faisait rire les enfants.<br />
<br />
En septembre, je m’amusais à la conduire devant ceux dont la vie était rangée et qui rentraient à l’école. On me jetait des regards un peu jaloux, les yeux pleins d’images de randonnée à travers les forêts couleur feux. Au fond, moi, j’étais aussi jaloux d’eux. De ces vestons tweed et de ces foulards tout frais sortis de la naphtaline. Frissonnant dans ma veste du surplus de l’armée, j’avais parfois envie de troquer ma liberté contre quelques stylos et une pile de volumes neufs, un petit bonheur aux parfums de pommes trop mûres. Les étudiants adoraient Manouche. Son charme rétro et sa gueule de survivante de la vieille guerre avaient tout pour plaire. En réponse au tatouage sur son flanc, une fille, étudiante en littérature, avait inscrit un poème de Baudelaire sur l’autre côté. Ainsi, la bécane pouvait porter en elle la fierté des grands albatros.<br />
<br />
Malgré les moqueries de mes camardes de misère, je commençais à fréquenter les cafés du campus. Je revis un peu l’étudiante en littérature, bu du café plus noir que le fond d’un œil, écouté de la poésie déclamée avec l’arrogance de l’époque et réchauffé mon cœur. Pendant quelques heures, je m’imaginais être quelqu’un d’autre. Mes compagnons me voyaient comme un drôle de petit voyou, un marginal sans importance, de ceux qu’on croise à tous les coins de rue, les yeux rouges, les poumons noircis. Au fond, je crois qu’ils m’aimaient bien. Parfois, la vie peut paraître belle. <br />
<br />
Puis, ce qui devait arriver arriva. Manouche fut volée. Ce fut trois jours avant Noël. Ce soir-là, je vidai une bouteille de vodka, tout tremblant parce que j’avais mouillé mes pantalons dans la neige fondante. Vladimir accepta de m’aider à la retrouver. Manouche n’était plus qu’un vélo, c’était le symbole de notre intégrité. C’est pourquoi nous avions passé toute une nuit, les pieds dans une merde fondante, à la chercher. Nous avions fait toutes les ruelles, tous les magasins chinois, toutes les cours où les cerbères dormaient. Rien.<br />
<br />
Bredouille, j’allais rejoindre mon ami à l’église où il m’attendait déjà avec des cigarettes et deux bouteilles de bière. C’était le matin et le regard de Jésus paraissait morne. Vlad tenta de me remonter le moral en me racontant ses histoires de peines d’amour. Comment comparer une fille à un vélo? Sans roues, un cœur ne dérive plus assez loin. Une vieille dame entra et nous sourit : « joyeux Noël ». « On n’est que le 23 décembre. » ais-je répondu sans la regarder.<br />
<br />
Sans Manouche, je fus contraint à traîner mes semelles à travers les rues. Je ne pouvais jamais aller aussi loin que je le voulais. Plus jamais je n’allai voir les étudiants. Je restais les deux pieds dans mon petit monde de misère, à racler les craques de trottoirs pour quelques sous, histoire de me payer un café. Les jours passaient, je grandis, les moteurs me semblaient soudainement plus attirants.<br />
<br />
Mes colocataires acceptèrent de m’aider à voler une voiture. Fidèles à leur poésie de rue, ils choisirent une vieille Pontiac. Ce fut ma nouvelle amie. Le soir venu, nous roulions loin de la ville, au creux de la campagne pour aller regarder les étoiles. Le monde était différent, Manouche était morte, il fallait passer à autre chose.<br />
<br />
Un jour, je devins un homme et commençai à faire ma vie avec un vieux Smith&Wesson dans les poches. Je troquais mes vieux idéaux contre une cravate noire et ma Pontiac pour une Buick neuve. La ville n’était plus la même, moi non plus. Mes amis avaient tous grandi, et, comme nous l’avions prophétisé, nous étions devenus les rois de la ville. Nous avions peint ses murs en gris et avions juré vengeance au jour de notre naissance. Nous étions adultes, les poumons cancéreux et le cœur enfoui un peu trop loin. Plus de place pour les vélos et les lumières de Noël. Nous avions remodelé la ville et la ville était moche.<br />
<br />
Lorsque nous nous étions retrouvés ce matin-là, Manouche était prête à mourir. Elle avait attendu d’être sauvée pendant trop longtemps. Sur son flanc paraissaient encore les fragments d’un poème que j’avais oublié. Je l’ai portée sur mes épaules jusqu’au fleuve, elle le méritait bien. L’eau d’octobre était noire et glacée, Manouche est morte rouillée. <br />
<br />
Lorsque, certains soirs, comme celui-ci, on me demande de raconter l’histoire de Manouche, en échange d’un verre, je veux bien. Lorsqu’on me dit que c’est une histoire triste, je fais toujours la même chose. Je souris, allume une cigarette et fixe le vide un moment « C’est seulement l’histoire d’un vélo volé. »Carolinehttp://www.blogger.com/profile/05606023342161230196noreply@blogger.com0